50 000 euros pour les Conti, le pourboire de la milliardaire Schaeffler !

Thierry Brun  • 1 juin 2009
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Continental-Schaeffler est-il en train de s’acheter une bonne conduite et en prime la paix sociale ? Après deux mois et demi de lutte des salariés du fabricant de pneus à Clairoix (Oise), les syndicats de Continental, quatrième équipementier automobile mondial, sont « arrivés à un compromis acceptable » avec le versement d’une prime de départ de 50 000 euros nets à chacun des 1 120 salariés. 56 millions d’euros, c’est ce que la direction allemande de Continental ne voulait pas lâcher lors d’une dernière rencontre, préférant ne céder que 20 000 euros par salarié. Même si elle est revenue sur sa décision, la direction s’en tire bien compte tenu de ce qu’a déjà programmé Continental.

Illustration - 50 000 euros pour les Conti, le pourboire de la milliardaire Schaeffler !

Disons-le, Continental pouvait cracher plus. 56 millions d’euros, c’est une goutte d’eau pour la fermeture de la fabrication de pneus à Clairoix d’ici 2010, même s’il faudra ajouter quelques millions d’euros pour les congés de reconversion et le maintien des salaires jusqu’à octobre. Ce chiffre est à comparer aux 367 millions d’euros de dividendes versés au titre de l’exercice 2007, même si le bénéfice net a chuté. Le groupe a certes prévu de ne pas distribuer de dividendes au titre de l’exercice 2008, mais il a réduit ses effectifs de 12 500 salariés la même année.

Le groupe a aussi annoncé que des dividendes seront versés pour 2009 et 2010, plafonnés à 323 millions d’euros. En clair, l’horizon des actionnaires est moins sinistre que celui des salariés de Clairoix. Rappelons que la section « pneumatiques » de Continental a exceptionnellement bien résisté à la crise en 2008, avec 9,35 milliards d’euros de ventes et un bénéfice de 984,9 millions d’euros, incluant les bénéfices dégagés par Clairoix…

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Au-delà des difficultés actuelles du secteur automobile, Continental accuse un trou de plus de 10 milliards d’euros, somme destinée au rachat par le groupe Schaeffler, propriété de la milliardaire Maria-Elizabeth Schaeffler et de son fils Georg. On assiste donc à une basse manœuvre spéculative qui nécessite la restructuration des activités du quatrième équipementier automobile mondial.

L e petit équipementier automobile allemand Schaeffler, qui a du mal à absorber Continental, sait user du chantage. Il a récemment annoncé qu’il renonçait à un vaste plan de licenciements en échange d’importantes concessions salariales. Les licenciements secs sont exclus d’ici au 30 juin 2010, selon un communiqué de presse commun rédigé avec le syndicat de la métallurgie IG Metall. En échange, les salariés de Schaeffler en Allemagne devront accepter, usine par usine, une série de mesures visant à réduire de 250 millions d’euros les coûts de personnel. Ces mesures peuvent être une baisse du temps de travail assortie d’une baisse des salaires, un recours plus large au chômage partiel, des départs volontaires ou en pré-retraite, la suppression de primes ou la création d’une société de transfert, selon IG Metall et Schaeffler.

Mais le modèle Continental-Schaeffler a montré que les dirigeants des grandes entreprises pouvaient demander de travailler plus pour une rémunération moindre, et finalement supprimer les emplois à court ou moyen terme. A Clairoix, un accord avait été conclu il y a trois ans entre les salariés et la direction de l’entreprise au terme duquel le temps de travail avait été augmenté en échange du maintien de l’emploi. Le site sera fermé malgré cet accord : Continental s’inscrit dans une stratégie de « délocalisation rampante » vers des pays à plus faible coût de main d’œuvre, ce qu’a révélé le rapport du cabinet d’expertise Secafi-Alpha, mandaté par le comité central d’entreprise de Continental.

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La fermeture annoncée pour 2010 du site de Clairoix doit permettre au fabricant de pneus dont la « compétitivité n’est pas menacée », d’augmenter à 64,5 % la part de sa production dans les pays à bas coûts au sein de la division pneus tourisme et camionnette, révèle le rapport de Secafi-Alpha. La direction « avait clairement annoncé dès 2005 son objectif d’obtenir pour cette division un taux de production dans les pays low-costs de 60 % », est-il également précisé, tout en estimant que cet objectif, réalisé en 2008, « ne semble être qu’une étape intermédiaire vers des objectifs économiquement plus ambitieux mais socialement désastreux ».

Continental avait révélé le 11 mars son intention de fermer l’usine de Clairoix pour cause de surcapacités de production et manque de compétitivité du site. Un motif qu masque d’autres intentions. Cette fermeture permettrait à des usines du groupe à Püchov (Slovaquie), Timisoara (Roumanie) ou Otrokovice (République tchèque) « de reprendre une croissance mise entre parenthèses ces six derniers mois », indique le rapport, qui estime que « cette délocalisation rampante demeure le maître-mot de la stratégie de Continental ».

L’histoire bégaie, car Continental n’est pas le seul groupe industriel dans l’automobile à agir ainsi. Selon un autre rapport des experts du cabinet Secafi, le groupe Michelin aurait volontairement créé une sous-activité sur son site de Toul, en transférant massivement des productions vers des usines d’Europe de l’Est ou d’Allemagne et aurait provisionné, depuis les années quatre-vingt, les 130 millions d’euros prévus pour fermer le site toulois. Pour ce cabinet, l’usine serait viable à peu de frais : il suffirait de remettre une seule chaîne de production sur le site. Cela coûterait environ 64 millions d’euros, soit la moitié environ de la somme que Michelin s’apprête à dépenser pour fermer le site et indemniser les salariés. Ce surcroît de production nécessiterait en plus l’embauche d’une centaine de salariés pour produire environ 4,5 millions de pneus annuellement.

Rapport parlementaire déposé le 19 mai{: class= »spip-document text-left »}

Ces constats figure dans un rapport déposé le 19 mai à l’Assemblée national par Alain Bocquet, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, « au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire sur la proposition de résolution (n° 906) tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conditions dans lesquelles a été préparée puis prise par Michelin, la décision de fermer l’usine Kléber de Toul (Meurthe-et-Moselle), et sur les contre-propositions économiques et industrielles élaborées par les syndicats en faveur du maintien du site et des emplois ».

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