Yann Arthus-Bertrand inflige au monde sa vision esthétique de l’écologie financée par un mécène, le groupe Pinault qui annonce 2000 licenciements

L'art de transformer une catastrophe à venir en objet esthétique et politiquement aussi correct que lénifiant. Le triomphe de la communication face aux inquiétudes des écologistes et d'une partie de la population mondiale. Le film va faire un tabac au Bangladesh et au Niger...
Claude-Marie Vadrot  • 4 juin 2009
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La presse presque unanime se déchaîne pour vanter les mérites du film de Yann Arthus-Bertrand passant en « première mondiale » sur France 2, sur Internet, dans les cinémas de 127 pays et aussi, parait-il, sur 65 chaînes de télévision du monde pour célébrer la journée mondiale de l’environnement. Pour son plaidoyer de belles images, comme d’habitude chez ce « nouvel écologiste », comme dans sa « Terre vue du ciel », il oublie tout simplement l’homme, les hommes ; ce photographe a trouvé un filon lui ayant rapporté (pour le livre tiré du premier film) prés de 6 millions de droits d’auteur, sans compter les produits dérivés. Pour le plus gros coup de sa carrière il a mobilisé des banques, des villes, des chaînes de télé et le mécène François-Henri Pinault qui dirige le groupe PPR fondé par son père François Pinault considéré comme la plus grande fortune d’Europe. Pour mémoire, le groupe PPR c’est Le Printemps, Gucci, Puma, Yves Saint-Laurent, Boucheron, Balenciaga, etc. Des babioles auxquelles il faut ajouter Conforama (800 licenciements), la Fnac (400 licenciements) et la Redoute (670 licenciements). De quoi dégager, sur un chiffre d’affaires de 3380 millions d’euros, quelques économies pour payer le film de Yann Arthus-Bertrand. Lequel court d’un média à l’autre pour nous expliquer qu’il a travaillé à l’oeil, qu’il n’en tirera aucun bénéfice. De quoi faire sangloter dans les chaumières devant une telle abnégation. En attendant le livre et le CD…

Cet homme qui a découvert il y a quelques années, pour faire son premier film presque exclusivement financé par les Nations Unies, que l’écologie permettait de se faire une extraordinaire publicité et de gagner de l’argent, est sans aucun doute le plus grand escrologiste de l’année. La seule fois où je l’ai rencontré, dans un avion qui nous ramenait de Macédoine en avril 1999, il ignorait le mot écologie. Ce n’était alors pour lui qu’une vaine agitation et une vague source d’esthétique vue d’hélicoptère ou de ballon dirigeable.

Ce qui est remarquable dans les délires néo-écologistes de Yann Arthus-Bertrand, c’est sa capacité à oublier les hommes, à occulter les conflits, à nier les exploitations, à passer sous silence les rapports de force et les origines des destructions. L’écologie, même catastrophique, se fait image, esthétisme et bons sentiments. Pour faire d’une horreur ce qu’il considère comme une oeuvre d’art susceptible de capter le public pour lui faire oublier les mécanismes économiques et politiques des destructions. Tout en lui suggérant, à ce public, qu’il est le premier responsable. Une façon comme une autre « d’entraîner dans le consentement de la catastrophe » comme le dit si bien Paul Virilio.

Alors que Nicolas Hulot a transformé son esthétisme de la découverte du monde en pensée et prise de conscience écologique de plus en plus approfondie, l’auteur de « Home » puisque tel est son nom vendable dans toutes les langues, à transformé l’écologie, sa vision de l’écologie, en fait-divers et en images finalement sécurisantes. Nicolas Hulot n’est pas doué en politique, domaine dans lequel il a sagement renoncé à s’impliquer directement, mais Yann Arthus-Bertrand a réussi à ramener l’écologie à un art du spectacle et de l’esbroufe parfaitement récupérable et assimilable par les politiques. Donc en objet purement politique, version douce et inoffensive. Exploitable par tous les politiques amis de François-Henri Pinault qui s’est marié dans un luxe inouï au théâtre de la Fénice de Venise au mois d’avril dernier. L’histoire ne dit pas si notre nouveau cinéaste était de la noce et ce qu’il pense de ce gaspillage luxueux par l’un des amis de coeur du président de la République.

Le 5 juin, jour anniversaire de la première conférence mondiale des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm en juin 1972, il sera, il aura été, bien difficile d’échapper au consensus mou de la beauté catastrophique et au concert de louanges montant vers la camarilla présidentielle à la veille d’une élection européenne…

Que Yann Arthus-Bertrand laisse entendre qu’il vote ### Europe-Ecologie ne me console pas le moins du monde. Car l’écologie est tout sauf un art. Curieusement, Al Gore l’avait (presque) compris.

PS Grosse cerise sur ce gâteau industriel: vendredi soir, François-Henry Pinault est venu lui-même vendre la marchandise dans le journal de France 2….

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