Sarkozy Contre Les Nazis

Sébastien Fontenelle  • 29 septembre 2010
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En couverture de L’Express du jour, il y a une photo du chef de l’État français, avec ce gros titre: «Pourquoi il suscite la haine.»

Ah, tiens, se dit-on: L’Express a finalement compris que Sarkozy ne s’épanouit que dans la vindicte.

Mais non, bien sûr.

«La haine» que «suscite» Sarkozy n’est pas celle, quotidienne, qui s’exerce contre les diverses catégories de population que Sarkozy bouc émissairise: «la haine» que «suscite» Sarkozy est celle qui s’exerce contre Sarkozy.

Plus précisément: il s’agit, raconte l’éditocratique patron de l’hebdomadaire – Christophe Barbier, of course -, d’une «vague de haine» .

D’après Barbier, «qu’on» la «nomme antisarkozysme, “sarkophobie” ou “sursaut citoyen”» , cette «vague de haine» est «un phénomène inquiétant, parce qu’il (…) met en péril notre contrat républicain» : c’est du moins ce qu’il écrit sans rigoler.

Barbier juge ainsi que «certains médias semblent avoir cédé à une rage» antisarkozyste «aveuglante» .

Par contraste, L’Express (où l’on met haut le raffinement) « ne suivra pas cette voie et ne trempera» les «flèches – nombreuses» [^2] qu’il décoche vers le chef de l’État français «ni dans le venin du ressentiment, ni dans le fiel de l’idéologie» .

Ces derniers mots – «le fiel de l’idéologie» – sont importants, comme disent Pedro Tevaniano et Silvia Tissota: ils ont pour fonction de graver dans les bouts de cerveau disponibles du lectorat de Barbier que l’idéologie, c’est pas bien, et que Barbier, quant à lui, ne mange pas (du tout) d’un si fielleux pain.

Dans la vraie vie, naturellement: chacun des mots que dit Barbier – quand il fustige les enseignants qui «dénoncent les efforts qu’on leur demande, mais nient les privilèges réels attachés à leur profession» [^3], par exemple, ou quand il se met à coucouanner, comme s’il récitait un discours de Laurence Parisot, que «l’impôt des plus riches doit baisser, parce qu’il y a trop d’impôts dans ce pays, la preuve, certains de ces plus riches s’expatrient pour aller dans des pays où on leur prend moins d’argent» [^4] – chacun des mots de Barbier, disais-je, est bien évidemment saturé , non seulement d’idéologie, mais d’idéologie dominante: le gars est, de fait, dans le paysage médiateux français, l’un des plus fameux tambourineurs de la propagande patronnesse.

Mais en réaffirmant que l’idéologie (quand elle n’est pas ultra-libérale) est une horrible chose (inventée sans doute par des communistes), Barbier, tu l’as compris, s’ouvre la possibilité de suggérer assez nettement (relis bien ce qu’il en dit) que c’est pas (du tout) le chef de l’État français qui, par ses menées anticonstitutionnelles et antisociales (et autres) «met en péril notre contrat républicain» , mais bien plutôt les gros(se)s ☠☠☠☠☠(e)s qui font de l’ «antisarkozysme» – puis de blatérer que, puisque c’est pas le chef de l’État français, qui «met en péril notre contrat républicain» , l’émotion de qui s’offusquerait de ses menées anticonstitutionnelles et antisociales (et autres) n’est pas (du tout) un «sursaut citoyen» , mais une pathologie relevant de la psychiatrie: une «sarkophobie» , comme dit aussi Frédéric Lefebvre, dont les avis sur la vie sont assez proches, décidément, des avis sur la vie de Christophe Barbier.

La suite prend la forme, dans L’Express , d’un très looooong papier d’où ressort, dès l’abord – mais sans que soit toutefois produite la moindre citation précisément sourcée qui établirait que les gens font rien qu’à traiter Sarkozy de nazi -, que les gens font rien qu’à traiter Sarkozy de nazi, et que ça fait même dire à Julien Dray, complaisamment cité par L’Express , que «Nicolas Sarkozy n’est pas Adolf Hitler» , et à Pierre Moscovici, complaisamment cité par L’Express , que «Nicolas Sarkozy n’est pas fasciste» , et à Jean-Luc Mélenchon (rires), complaisamment cité par L’Express , que «Sarkozy n’est pas un nazi» .

(Redisons-le, pour le cas où tu ne l’aurais pas bien compris: Sarkozy n’est pas un nazi.)

Dans la vraie vie, bien sûr: Le Nouvel observateur , par exemple, n’a, qu’on sache, nullement traité le chef de l’État français de nazi.

En revanche, qu’est-ce qu’on lit-on, dans le très looooong papier de L’Express ?

On lit-on – accroche-toi – que Sarkozy «estime que la couverture du Nouvel observateur _, le 2 septembre, sur “Les riches, le pouvoir et la droite”, avec sa photo sur un billet de 500 euros, relevait d’“un antisémitisme, conscient ou non”: “Gringoire aussi m’aurait mis ainsi”»._

(De surcroît: «Pour le chef de l’État (dont le grand-père paternel était juif), les allusions à son physique témoignent d’une forme d’antisémitisme – il se réfère volontiers aux précédents de Léon Blum et de Georges Mandel – de même que la comparaison, effectuée en mai par Martine Aubry, avec l’escroc Bernard Madoff, cet homme d’affaires arrêté par le FBI.» )

Franck Louvrier, «le conseiller en communication du président» , complaisamment cité par L’Express , confirme: «Quand on dit de Nicolas Sarkozy qu’il est proche des riches, proaméricain, et qu’on le compare à Madoff, cela réveille chez certains des relents d’antisémitisme» .

Dans la vraie vie, donc: c’est le chef de l’État français (dûment soutenu par son fidèle «conseiller en communication» ), qui traite de nazis – genre Martine Aubry – les ☠☠☠☠☠(e)s qui auraient l’insupportable effronterie de souligner qu’il est – de fait – le chef «d’une guerre des classes au service de l’aristocratie de l’argent» [^5] (et que «derrière la façade d’un régime démocratique se dessine» , sous son règne, «le tableau inquiétant d’un tout autre régime: une oligarchie, un gouvernement des riches pour les riches» ^6) – et qui, très posément, compare Le Nouvel observateur avec Gringoire , infecte feuille antisémite des années 1930.

Ce n’est bien sûr ni très nouveau, ni très surprenant, puisqu’aussi bien l’élection de Sarkozy fut – aussi – le résultat d’une longue préparation des esprits, où durant des années une éditocratie penchée n’a eu de cesse, d’Alexandre Adler en Philippe Val [^7] et en toute impunité, de faire contre la gauche du chantage au nazisme.

Et de vrai: Sarkozy aurait tort de se gêner, puisqu’il se trouvera toujours des Barbier[^8] pour lui réagencer une réalité sur mesure, où l’insulteur devient, magie des mots, l’insulté…

[^2]: Ne ris pas, s’il te plaît.

[^3]: Une phrase, deux bobards: très jolie moyenne.

[^4]: Nous avons là, (très) fidèlement décliné, l’un des mensonges récurrents de la propagande gouvernementale. Dans Le Président des riches , que tu vas lire un peu vitement, s’il te plaît, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot narrent ainsi que les «familles fortunées, sous la menace du glaive fiscal» , font du «chantage à l’émigration, pour la Belgique, Londres ou la Suisse» . Le bouclier fiscal mis en place dès son installation à l’Élysée par le Kozy avait pour fonction, nous expliqua-t-on, d’en finir avec ce révoltant «exil fiscal» . Mais: «Le nombre d’exilés fiscaux reste stable» , nonobstant cet opulent cadeau. On attend, là-dessus, la pénétrante analyse de Barbier.

[^5]: Le Président des riches , op. cit.

[^7]: Dont quelques aventures sont narrées .

[^8]: En 2008, Val déclara, dans L’Express, qu’il était «impossible d’être antisioniste sans être antisémite» . Et que, donc: «Se dire antisioniste, c’est se dire antijuifs» . Et que c’est ce qui «permet à cette gauche» qui se dit antisioniste «d’exprimer son antisémitisme» . Et de conclure: «Besancenot ne serait pas si “tendance” si cela s’éteignait» . Le gars qui recueillait (complaisamment) ces dignes propos – un certain Christophe Barbier – se garda bien de lui porter la contradiction, et ne s’offusqua nullement de «la haine» que suscitait là Besancenot…

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