Une opération de flibusterie électorale

Michel Soudais  • 25 mars 2011
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La décision d’Europe écologie Les Verts (EELV) de maintenir ses candidats au 2nd tour contre le PS ou le Front de gauche dans une trentaine de cantons est un événement dont nous n’avons pas fini de mesurer la portée, faute d’en mesurer dans l’instant la nouveauté et les conséquences.
Je rappelle les faits : La direction d’EELV a décidé dimanche de maintenir ses candidats le 27 mars, au second tour, partout où la droite est éliminée. Les mêmes ont aussi décidé qu’EELV soutiendrait face à la droite le candidat de gauche le mieux placé et ferait bien entendu barrage au FN. Après quoi, Cécile Duflot s’en est allé prendre la pose gauche unie sur une péniche aux côtés de la première secrétaire du PS, Martine Aubry, et du secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. En se gardant bien de dire alors que ses candidats continueraient de ferrailler contre ceux de ses deux compères, partout où ils le pourraient, sans risque de faire élire un candidat de droite. Gageons que si tante Cécile avait annoncé sa cuisine, nous n’aurions sans doute pas eu droit à cette belle image d’unité retrouvée.

Pierre Laurent, Martine Aubry et Cécile Duflot.

Sitôt l’annonce du retour de la gauche plurielle diffusée sur toutes les antennes, EELV dévoilait son intention de mettre un terme à la règle traditionnelle du désistement pour le candidat de gauche arrivé en tête. Argument des écolos servi par la fringante Cécile Duflot[^2] : « Les recettes de 1880 [^3] ne sont pas celles du XXIe siècle. En cas de qualification de deux candidats de gauche au second tour, je ne vois pas pourquoi obliger les lecteurs à voter pour un candidat unique. C’est le contraire de la démocratie. »

Un moyen de droitiser la gauche

Au risque de déplaire [^4], je ne crois pas que la démocratie puisse exister dans la confusion des idées et des choix. Car la « démocratie » que nous chante ici EELV n’est rien d’autre qu’une opération de flibusterie électorale. Un jeu de massacre hasardeux où les électeurs de droite et d’extrême droite sont invités, après la défaite de leur champion, à choisir quel opposant leur convient. Comme s’il revenait aux gens de l’UMP et du FN d’arbitrer les débats qui traversent la gauche.
En général[^5], on sait à quoi cela aboutit : les sympathisants de Nicolas Sarkozy et les fans de Marine Le Pen reportent leur vote sur le candidat qui leur paraît le plus proche des idées qu’ils défendent, donc le plus à droite, ou celui dont l’élection leur semble mettre le plus de «bordel» dans le camp adverse. Et ils ne s’en privent pas: à Cahors, l’UMP appelle à voter EELV contre le PS. A Saint-Denis, la candidate EELV a le soutien officiel de la droite qui appelle à battre la candidate communiste en des termes fleuris[^6].
A ce jeu de con, la gauche ne gagne rien , car celui (ou celle) qui l’emporte c’est (presque) toujours le tenant de l’équité contre l’égalité, du changement dans la continuité plutôt que de la rupture, de l’évolution concertée et autres fariboles… Il n’y a pas de chemin plus direct pour droitiser la gauche que de s’en remettre au bon vouloir des électeurs du camp d’en face pour assurer son élection. Et qu’on ne me dise pas qu’un édile aussi (mal) élu ne cherchera pas à complaire à ces mandants, je n’en ai jamais rencontré de tels. Je tiens donc le procédé défendu par les dirigeants d’EELV pour détestable.

La lutte des places justifie les moyens

Cette infraction (car c’en est une) à la règle traditionnelle du désistement à gauche [^7] est bien plus qu’une « entorse regrettable » [^8] à cette discipline. Car nous ne sommes plus là dans le cas où quelques candidats, guidés par des raisons particulières (qui peuvent être valables) ou mus par une ambition personnelle (bien plus contestable), décident dans leur coin de passer outre la règle de vie commune.
Dans le cas présent, nous sommes face à la décision d’un parti, prise pour tous ses membres et applicable à tous, qui décide que dorénavant le mode vivre ensemble de la gauche n’a plus cours. L’exception devient la règle.
Jusqu’ici l’électeur avait intégré une ligne de conduite simple dans les élections à deux tours: au premier, on choisit; au second, on élimine (celui du camp d’en face) et s’il n’y a plus personne à éliminer, on en reste au choix qui a été fait au premier tour. Mais avec la décision d’EELV, tout change. Le candidat de l’écologie officielle a perdu au grattage? Voyons s’il peut gagner au tirage.
«Les électeurs doivent avoir le choix jusqu’au bout , plaident les écolosTM[^9], et on ne saurait leur imposer un seul candidat.» Mais dans ce cas pourquoi avoir passé un accord avec le PS dans une vingtaine de départements? Avec ces accords, au premier tour, des électeurs écologistes ont été privés d’une candidature écologiste et priés de voter directement pour un candidat socialiste; ailleurs des électeurs socialistes n’avaient plus de candidat PS mais à la place un représentant d’EELV. Pourquoi le choix des électeurs, négligé quand EELV a passé ces accords de partenariat avec le PS, accords dont on cherchait souvent le fondement programmatique, serait-il devenu subitement une préoccupation?
Autre justification avancée par Jean-Louis Roumégas , porte-parole d’EELV [^10]: « Notre maintien va dans le sens de la représentation de la diversité à gauche. » Donc, n’ayant pu obtenir assez de places gagnables par ces accords de premier tour avec le PS, EELV, après les avoir tout de même engrangés, s’emploie maintenant à les arracher par tous les moyens à son allié. Comme le dit crûment le politologue Stéphane Rozès (CAP conseil), les écolosTM veulent « le beurre et l’argent du beurre » .

Des enfants gâtés et capricieux

Ce comportement traduit un mode d’agir qui, sous l’affable et séduisante promesse de « faire de la politique autrement », reproduit les pires travers politicards. Une éthique sans foi ni loi d’autant plus redoutable qu’elle est convaincue d’œuvrer pour la bonne cause. Et se pare du masque de la victime. Les écologistesTM se sont ainsi faits une véritable profession de dénoncer l’hégémonisme du Parti socialiste avec un seul objectif : le partage des sièges. Ce qui se joue dans ces cantonales n’est pas étranger aux négociations en cours pour les sénatoriales, où d’ores et déjà on parle de onze sièges qui leur seraient réservés par la rue de Solferino. Ce qui n’est pas assez aux yeux de certains écolosTM. Pour les législatives de 2012, les mêmes, avec toujours le même comportement d’enfants gâtés capricieux, revendiquent qu’on leur réserve une cinquantaine de circonscriptions. Ils ne demandent finalement qu’une chose au parti socialiste : être élu à sa place et avec son sigle. Et pour ce faire, ils le menacent de manière absolument honteuse de le faire perdre s’ils n’obtiennent pas gain de cause. On n’est pas loin du chantage et du racket.

Car de la décision prise dimanche par le bureau d’EELV, il ressort que les écologistesTM refusent de se désister pour le PS dans 25 cantons et pour le Front de gauche dans 4 autres cantons. 29 duels écolosTM/gauche sont ainsi à leur initiative (voir encadré). Ce qui ne les empêche pas de se plaindre des quelques rétorsions que leur imposent le PS (dans 3 cantons) et le Front de gauche (dans un seul[^11].
Il est singulièrement cocasse de voir les écolos de Montreuil s’offusquer que le PCF maintienne son candidat dans une ville et un département, la Seine-Saint-Denis, où leur responsabilité dans le western qui agite la gauche est importante.

Bouter les rouges

Dans ce département, les duels à gauche ont été inaugurés par les Verts en 2001 , quand, en se maintenant contre la liste PCF-PS conduite par Gislaine Durand, Michel Bourgain a conquis la mairie de l’Ile-Saint-Denis. A Montreuil, la liste Verts conduite par Patrick Petitjean tentait la même opération, sans succès, dans une quadrangulaire où concouraient, outre la liste d’union de la gauche conduite par le maire apparenté PCF Jean-Pierre Brard, une liste de droite et une liste d’extrême droite. Mais dans le canton Est de la ville, le Verts Michel Poirier l’emportait avec 50,57 % après s’être maintenu contre le communiste Jean-Charles Nègre, qui l’avait devancé au premier tour (33,58 % contre 27,94 %). Après annulation de l’élection et convocation d’une partielle en octobre 2002, Michel Poirier est nettement battu par Jean-Charles Nègre (61,8 %) qui avait creusé l’écart au 1er tour (38,2 % contre 21%). Ce dernier a été réélu en mars 2008 (55,24 %) face à la verte Fabienne Vansteenkiste qui, bien que distancée de 12 points au premier tour, s’était maintenue, tout comme son camarade Jean-François Monino dans le canton d’Aubervilliers Ouest.
Le procédé s’est révélé gagnant en revanche pour Dominique Voynet dans sa conquête de la mairie de Montreuil, conquête critiquée vertement dans les colonnes de Politis par Bernard Langlois qui dénonça une ville « passée à droite » . Gagnant aussi pour le socialiste Jacques Salvator qui prit ainsi, cette même année 2008, la ville d’Aubervilliers en se maintenant contre la liste conduite par le maire PCF Pascal Beaudet. Mais perdant pour trois autres ambitieux du PS à La Courneuve, Saint-Denis et Bagnolet. Car depuis 2001 la méthode des Verts a fait école auprès de certains socialistes pressés eux aussi de bouter les rouges [^12].

La flibusterie électorale systématisée par Europe écologie-Les Verts pourrait assez vite conduire à casser la gauche.


[^2]: Sur RFI.

[^3]: Par allusion à Jean-Luc Mélenchon qui a rappelé que cette règle remontait au temps où les républicains se désistaient les uns pour les autres afin d’empêcher les monarchistes et bonapartistes d’être élus.

[^4]: J’ai rencontré des tas de gens qui approuvent le raisonnement sophistique de Mme Duflot, soit qu’ils n’y voient pas malice, soit qu’ils aient une «bonne raison» toute personnelle cependant d’y adhérer.

[^5]: Il peut y avoir des exceptions, mais ce ne sont QUE des exceptions.

[^6]: Si vous aussi vous avez connaissance d’appels de cette sorte, n’hésitez pas à les déposer dans les commentaires de ce blog.

[^7]: Je veux bien supprimer l’adjectif «républicain» sachant que les écologistes du parti de Cohn-Bendit n’entendent rien à la chose ; il n’est d’ailleurs ici qu’une référence historique, donc accessoire.

[^8]: Si Pierre Laurent la qualifie ainsi c’est pour ne pas compromettre le rassemblement affiché sur la fameuse péniche ; un souci partagé par le PS quand il assure que « la gauche est unie dans 98 % des cantons ».

[^9]: TM = trademark (trad. : marque déposée.

[^10]: La Croix , 24 mars.

[^11]: A Arcueil dans le Val-de-Marne, sa candidate Carine Delahaie (24,84%) n’a pas déposé sa candidature en préfecture, laissant Daniel Breuiller (44,66%) seul en lice.

[^12]: Elle fait même des émules à des centaines de kilomètres. Il n’est qu’à voir le comportement du socialiste Daniel Frossard arrivé en deuxième position au premier tour derrière Jean Buron (Front de gauche-PCF) dans le canton de Bordères-sur-l’Échez (65).

Les écologistes sont opposés à la gauche dans 34 cantons. En voici le détail:

25 duels PS/EELV

Castelnaudary (11)
Roger Ourliac (33,32 %) / Stéphane Linou (24,57 %)
La Rochelle 6 (17)
Denis Leroy (38,43 %) / Jean-Marc Soubeste (16,21 %)
Périgueux O. (24)
Mireille Bordes (32,58 %) / Jean-Marie Rigaud (20,25 %)
Lanta (31)
Daniel Ruffat (47,91 %) / Emmanuel Edon (28,27 %)
Toulouse (31)
Christophe Begue (38,87 %) / Patrick Jimena (22,56 %)
Montpellier 3 (34)
Philippe Saurel (43,98 %) / Nicolas Dubourg (16,74 %)
Bruz (35)
Philippe Bonnin (PS, 48,57 %)/Yves Salmon (EELV, 22,45 %)
Rennes S.-E. (35)
Mireille Massot (46,50 % / Anne Caillet (21,97 %)
Grenoble 3 (38)
Denis Pïnot (PS, 28,38 %) / Hakim Sabri (EELV, 19,76 %)
Saint-Egrève (38)
Pierre Ribeaud (36,61 %) / Mathilde Dubesset (19,80 %)
Nantes 3 (44)
Pascale Robert (40,06 %) / Pascale Chiron (20,17 %)
Nantes 5 (44)
Claude Seyse (50,46 %) / Catherine Choquet (30,83 %)
Saint-Etienne-de-Montluc (44)
Jean-Pierre Fougerat (50,17 %) / Jacques Testard (22,31 %)
Saint-Herblain E. (44)
Bernard Cagnet (39,54 %) / Paul Tallio (18,27 %)
Saint-Nazaire E. (44)
Philippe Grosvalet (44,01 %) / Michèle Viau (14,98 %)
Saint-Nazaire O. (44)
Annaig Cotonnec (40,21 %) / Gilles Denigot (25,36 %)
Cahors N.-E.(46)
Geneviève Lagarde (PS, 45,93 %) / Francesco Testa (EELV, 15,99 %)
Cahors S. (46)
Gérard Miquel (PS, 38,09 %) / Evelyne Liarsou (EELV, 16,11 %)
Nomeny (54)
Bernard Leclerc (27,19 %) / Antony Caps (22,83 %)
Strasbourg 2(67)
Jean-Jacques Gsell (34,19 %) / Marie-Dominique Dreysse (23,39 %)
Lyon III (69)
Dominique Bolliet (28,41 %) / Raymonde Poncet (21,18 %)
Lyon XI (69)
Jean-Michel Daclin (33,39 %) / François Chevallier (18,82 %)
Villeurbanne Centre (69)
Richard Llung (29,24 %) / Béatrice Vessiller (24,27 %)
Rouen 7 (76)
Ludovic Delesque (35,10 %) / Jean-Michel Bérégovoy (21,16 %)
Cachan (94)
Alain Blavat (PS, 33,73 %) / Thierry Didier (EELV, 20,03 %)

3 duels EELV/PS

Le Vigan (30)
Eric Doulcier (39,48 %) / Roland Canayer (32,81 %)
Tours E. (37)
Christophe Boulanger (22,49 %) / Alain Dayan (20,95 %)
Grenoble 1 (38)
Olivier Bertrand (29,66 %) / Céline Deslattes (27,29 %)

5 duels Front de gauche / EELV

Saint-Denis N.-O. (93)
Florence Haye (31,24 %) / Fatima Laronde (26,96 %)
Fontenay-sous-Bois E. (94)
Gilles Saint Gal (46,22 %) / Fabienne Bihner (16,57 %)
Ivry-sur-Seine O. (94)
Chantal Bourvic (42,06 %) / Chantal Duchene (25,42 %)
Villejuif O. (94)
Laurent Garnier (36,89 %) / François Labat (25,02 %)
La Possession (974)
Roland Robert (57,52 %) / Vanessa Miranville (26,10 %)

1 duel EELV/Front de gauche

Montreuil O. (93)
Catherine Pilon (21,66 %) / Belaïd Bedreddine (19,81 %)

Temps de lecture : 10 minutes
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