Rwanda, un rapport décisif

Denis Sieffert  • 12 janvier 2012
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Rwanda, un rapport décisif

Illustration - Rwanda, un rapport décisif

Ayant été pris à parti, et parfois couvert d’insultes, à propos du dossier rwandais, je me dois de dire quelques mots après la publication du rapport rédigé notamment par le juge Marc Trévidic. Et d’en tirer quelques conclusions. Car voilà le résultat d’une expertise balistique dont les conséquences sont considérables, et de nature à modifier la vision que l’on pouvait avoir du génocide qui a coûté la vie à 800 000 Rwandais, dans leur immense majorité tutsies, entre avril et juillet 1994. Le rapport rendu public lundi par le juge Trévidic établit de façon incontestable, semble-t-il, que le missile qui, le 6 avril 1994, a abattu l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, a été tiré depuis une position tenue les Forces armées rwandaises (FAR). Rappelons les termes du débat. Ou bien le missile avait atteint l’appareil par l’arrière, et il était probable qu’il provenait d’une position du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement tutsi du futur président Kagamé. Ou bien, il avait frappé l’avion par l’avant, et il provenait très probablement du domaine militaire de Kanombé tenu par les FAR. C’est cette dernière hypothèse qui a été vérifiée. Le rapport Trévidic contredit donc complètement les conclusions d’une enquête précédente, conduite par le très politique juge Bruguière, en 2006.

Il contredit aussi les suppositions et les convictions de plusieurs personnalités qui, par déduction, ou à la suite de témoignages recueillis sur place, ont défendu l’hypothèse inverse. C’est le cas notamment du sociologue André Guichaoua à qui nous avons donné largement la parole dans Politis, y compris sur cet aspect du dossier. Je me dois, par conséquent, de prendre acte des conclusions du rapport Trévidic. Et d’en tirer un certain nombre de conclusions. Cela sans mettre en cause l’honnêteté de ceux qui se sont trompés, ou qui ont été induits en erreur. Ni leur imputer, comme certains l’ont fait, des arrière-pensées négationnistes. L’affaire rwandaise, aux multiples conséquences humaines, politiques, économiques, juridiques, a été, depuis le début, l’objet de toutes les manipulations. Les vrais-faux témoins « retournés », ou qui se sont rétractés, ne manquent pas. Je me garderai également de trop extrapoler à partir du rapport Trévidic.

Mais, tout de même, du lieu de provenance du missile dépendent beaucoup de choses. L’assassinat du président Habyarimana est en effet tenu pour l’acte déclencheur du génocide. Pour certains, il était l’œuvre du FPR de Paul Kagamé, désireux non pas de provoquer un génocide contre les Tutsis dont il est lui-même issu, mais de créer un chaos qui légitimerait l’entrée de ses troupes dans le pays. Pour les autres, il était commis par des éléments extrémistes hutus de l’armée rwandaise hostiles aux accords de partage du pouvoir que venait de signer le président Habyarimana, et cela afin de déclencher le génocide des Tutsis pour « venger » la mort du président rwandais. C’est donc cette deuxième hypothèse qui est confirmée aujourd’hui. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Plusieurs spécialistes affirment que les FAR n’étaient pas formées à l’usage des missiles soviétiques qui ont été identifiés par les experts travaillant au côté du juge Trévidic. Les extrémistes hutus auraient reçu l’aide de conseillers étrangers. Le nom du sulfureux capitaine Barril, sur place au moment des faits, circule. Qui étaient ces conseillers ? Des mercenaires vendus au plus offrant, ou des militaires avançant masqués au compte d’une grande capitale occidentale. La France balladuro-mitterrandienne (nous étions alors en période de cohabitation) serait alors sur la sellette. Mais, jusqu’où serait-elle impliquée dans les événements qui ont suivi, c’est-à-dire l’accomplissement d’un génocide ? Le rapport Trévidic ne donne évidemment aucune réponse à cette question.

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