« Paradise/Love » d’Urich Seidl; « Reality » de Matteo Garrone; « Alyah » d’Elie Wajeman

Christophe Kantcheff  • 19 mai 2012
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« Paradise/Love » d’Urich Seidl; « Reality » de Matteo Garrone; « Alyah » d’Elie Wajeman

D’affilée, deux films à thèse dans la compétition, ça fait beaucoup ! Le premier est l’œuvre de l’Autrichien Ulrich Seidl, Paradise/Love , qui traite du tourisme sexuel au Kenya auquel se livrent des femmes seules, des cinquantenaires à l’existence terne. Tout est laid chez Seidl : le racisme cynique de ces Occidentales trop bien en chair, que les Kényans appellent « Sugar mama » ; et l’âpreté aux gains des jeunes Africains qui se prostituent sans vergogne. Le cinéaste voit ceux-ci comme les gagnants de ces sinistres échanges. En somme, la misère économique du Sud serait quelque peu renflouée par la misère sexuelle du Nord. Il y a du Houellebecq chez Seidl.

Illustration - « Paradise/Love » d'Urich Seidl; « Reality » de Matteo Garrone; « Alyah » d'Elie Wajeman

Le cinéaste dit « réinventer la réalité » à partir d’ « observations du monde réel » . Certes, ses informations sont bonnes : le tourisme sexuel existe bel et bien et la misère aussi. Mais il est difficile de percevoir ce que Paradise/love réinvente. Le film ressasse sa démonstration : Teresa (Margarethe Tiesel), le personnage principal, se fait exploiter par les Noirs qui lui procurent quelques frissons. Et Seidl ne donnera pas une seule autre image de l’Afrique.

Le deuxième film, Reality , signé Matteo Garrone,l’auteur de Gomora , présenté ici en 2009, dénonce les méfaits des programmes de télé-réalité. Après avoir passé un casting à Rome pour une émission de télé style le Loft, le chef d’une famille nombreuse de Naples, Luciano (Aniello Arena), se prend à espérer jusqu’à l’obsession d’être sélectionné. On peut s’interroger sur la manière dont Nanni Moretti recevra le film de son compatriote, lui qui, dans Journal intime a fait de l’addiction que peuvent entraîner les programmes débiles (les Feux de l’amour !) un épisode inoubliable et hilarant. Reality est loin d’avoir cette maestria.

Illustration - « Paradise/Love » d'Urich Seidl; « Reality » de Matteo Garrone; « Alyah » d'Elie Wajeman

L’idée désastreuse que la télévision , comme le foot, représente une voie idéale de réussite rapide dans l’esprit de beaucoup de gens, alors que le fameux « ascenseur social » est en panne partout ailleurs, est aujourd’hui devenue presque un cliché. C’est pourtant l’unique point d’appui à partir duquel Matteo Garrone a élaboré tout son film. Pour, qui plus est, n’en proposer, à l’arrivée, qu’une illustration sans surprise. Car le film se divise en 3 temps totalement prévisibles : 1) Luciano est pauvre, s’adonne à de petits trafics pour améliorer les fins de mois, mais est surtout un bon vivant. 2) Luciano se prend au piège des illusions à paillettes. 3) Luciano devient fou.

Quant à la partie du film, en son début, qui se voudrait chorale, donnant le pouls d’un quartier populaire de Naples, elle ne fonctionne pas. Très vite, les personnages et les habitations ne sont filmés que d’une seule manière : comme un décor, voué à figurer un arrière-plan « typique », pas davantage. Un Loft pittoresque ?

Journée apathique, donc, côté compétition . Le rayon de soleil, au propre (parce qu’il a plu aujourd’hui à Cannes, où il fait un froid assez inhabituel – voilà pour les amateurs de météo) comme au figuré, est venu de la Quinzaine des réalisateurs. Y était présenté un premier film d’un réalisateur français, Elie Wajeman, intitulé Alyah .

Illustration - « Paradise/Love » d'Urich Seidl; « Reality » de Matteo Garrone; « Alyah » d'Elie Wajeman

Alyah* signifie en hébreu** « immigration en Terre sainte » pour un Juif. Mais la singularité de ce film, qui est finalement peu préoccupé par la religion, c’est que son personnage principal, Alex, trouve dans cet « alyah » une opportunité pour quitter sa vie parisienne où ses revenus viennent de la vente de shit, où son frère aîné ne cesse de se servir de lui, et où rien ni personne ne le retient. Jusqu’à ce qu’une jolie jeune femme, Jeanne, ne tombe amoureuse de lui.

Alyah est un film subtil, autant dans sa mise en scène sobre et fluide que dans le traitement de son sujet, mêlant le polar à l’étude de caractère. Elie Wajeman a eu l’intelligence d’éviter toutes considérations directement politiques, même si le discours propagandiste dispensé par l’Agence juive, qui s’occupe des départs vers Israël, n’est pas épargné. Israël, pour Alex, c’est surtout la possibilité, assez rare dans une existence, de couper avec ce qui le tire vers le bas, et une chance de réparer l’image amochée qu’il a de lui-même.

Plusieurs jeunes acteurs encore peu connus font ici preuve de talent : Pio Marmaï en tête, qui interprète Alex, Adèle Haenel, Guillaume Gouix, Sarah Le Picard ; et dans le rôle du frère d’Alex, aussi tendre qu’irritant, le réalisateur Cédric Kahn est archi convaincant. Sans prétention, sans goût aucun pour le spectaculaire, ce premier film compte plusieurs scènes très réussies (Alex et son père, le frère d’Alex et Jeanne…), et présage du bon pour la suite du parcours de son auteur.

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