Le droit d’auteur nuit gravement

Christine Tréguier  • 9 janvier 2013
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2013 sera-t-elle l’année du changement en matière de droits d’auteur, de la fin d’Hadopi et d’une politique enfin adaptée à la société numérique ? À entendre les bruits de coulisses en provenance de la mission Lescure, censée remettre ces questions et celles de l’exception culturelle à plat, rien n’est moins sûr. En début de semaine dernière, la SCPP (syndicat des majors de la musique) s’efforçait d’amener les preuves chiffrées de l’efficacité de la riposte graduée et demandait sanctions pécuniaires et filtrage. Pierre Lescure, lui, avait laissé entendre avant les réveillons qu’il serait nécessaire d’élargir la responsabilité des intermédiaires techniques, fruit de quelques années de batailles législatives homériques.

Sans doute devrait-il jeter un coup d’œil sur 2012, une année de propriété intellectuelle en délire , petit best of des effets délétères de la toute-puissance aveugle des ayants droit, concocté par l’équipe de Copyright Madness. Ça commence très fort avec les redoutables robocop(yright)s. ContentID, celui de YouTube, a réussi à faire supprimer la vidéo de l’atterrissage de Curiosity sur Mars, la diffusion live de la Convention démocrate, Barack Obama chantonnant quelques mesures d’une chanson protégée, ou encore une vidéo d’un chant d’oiseau !

Saisi d’une demande de retrait de l’éditeur Pearson, l’hébergeur ServerBeach a fait mieux : pour supprimer toute trace d’une liste de vingt questions (279 mots en tout) datant de 1974, il a, de fait, fermé la plateforme Edublog, et privé 1,4 million d’enseignants et d’étudiants de leurs blogs de travail. Mention spéciale à Microsoft, qui, se piquant d’un droit de propriété sur le nombre 45, a demandé le retrait de plusieurs dizaines d’URL dont… son propre moteur Bing ! 

Dans la catégorie droit moral inaliénable blablabla… la société suédoise SaaltKrakan tient la corde. Brandissant le glaive du droit moral sur Fifi Brindacier, elle a tenté d’interdire que son compagnon, un petit singe, figure sur le faire-part de décès d’un fan, un gamin de 3 ans, l’événement n’étant pas assez « positif ». Elle est talonnée par les descendants de Faulkner qui ont voulu bloquer le Midnight in Paris de Woody Allen parce qu’un des personnages y récite deux vers d’un poème du maître. Les gardiens des droits de Marylin, eux, se décarcassent depuis 1996 pour interdire un clone hologramme dont les droits ont pourtant été dûment négociés avec une société de gestion.

 Jolie performance pour la Sabam (la Sacem belge), qui a réclamé 250 euros de droits pour des lectures publiques de livres d’enfant à une bibliothèque. À 12,30 euros pièce, ça fait cher le conte de fées ! Elle aurait également menacé un syndicat de grévistes de lui faire payer des droits sur des concerts de soutien gratuits. 

Au palmarès aussi, Pascal Rogard, le directeur de la SACD, et son projet de taxe sur le domaine public, le département de la Dordogne qui veut, à l’instar de la société gérant la tour Eiffel, toucher sur les reproductions des peintures de Lascaux. Ou le CIO, qui a traqué les preneurs d’images pendant les Jeux olympiques, et même fait enlever cinq bagels dans la vitrine d’un café londonien, interdit les saucisses façon anneaux d’un boucher et les bouquets aux couleurs olympiques d’un fleuriste… 

Il y en a deux pleines pages, c’est dire si l’appât de la rente tue la création, avec tous les articles originaux en lien, et on ne peut que vous conseiller la lecture de cet édifiant palmarès d’une application bornée et cupide de la loi.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 3 minutes
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