Gaz de schiste : des parlementaires pro-nucléaires relancent le débat sur l’exploitation

Deux parlementaires pro-nucléaires relancent le débat sur l’exploitation des gaz de schiste en donnant le coup d’envoi, le 31 janvier, à un rapport visant à évaluer les « alternatives » à la fracturation hydraulique. Un rapport d’étape est annoncé au printemps.

Thierry Brun  • 1 février 2013
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Gaz de schiste : des parlementaires pro-nucléaires relancent le débat sur l’exploitation
Photo : AFP / GERARD JULIEN

Plutôt discret, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a la faveur des médias depuis que certains parlementaires ont décidé de rouvrir, le 31 janvier, le dossier controversé de l’extraction des gaz de schistes. La commission des affaires économiques du Sénat a en effet demandé à l’Opecst de « conduire une étude » relative aux « techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de schiste » . Il se trouve que le sénateur UMP et président de l’Opecst, Bruno Sido, est également secrétaire de la commission des affaires économiques du Sénat.

Le même président de l’Office parlementaire a nommé deux rapporteurs qui auront la responsabilité de mener à bien un rapport visant à évaluer lesdites « alternatives » à la fracturation hydraulique. Cette lourde tâche a été confiée au sénateur UMP Jean-Claude Lenoir, lui aussi membre de la commission des affaires économiques, et au député socialiste Christian Bataille, grand spécialiste de l’énergie nucléaire, accusé par les mauvaises langues de se faire la voix des lobbies du nucléaire.

Jean-Claude Lenoir et Christian Bataille sont en fait à l’initiative de la saisine par la commission des affaires économiques du Sénat, reconnaît son président, Daniel Raoul, éminent membre de l’Opecst. Et il est nécessaire de préciser ici que ces parlementaires ont en commun d’être membre de groupe d’études de l’énergie (pour ce qui concerne les sénateurs cités) et/ou de travailler à des rapports sur les énergies, avec la particularité de défendre la cause du nucléaire.

Ce petit groupe a donc quelques affinités dans le domaine énergétique. Et semble d’accord pour remettre à l’ordre du jour l’exploitation des gaz de schistes. Daniel Raoul le dit à sa manière : « S’il est en effet hors de question de recourir aux techniques de fracturation hydraulique, il est tout aussi regrettable d’interdire toute réflexion et recherche permettant la mise au point de technologies alternatives , respectueuses de l’environnement » , et, cela va de soi, ### « d’exploiter éventuellement cette ressource ».

Il n’y a aucun risque que des opposants aux gaz de schiste prennent en main l’étude de l’Office parlementaire. Denis Baupin, député EELV membre de l’Office parlementaire, a d’ailleurs contesté le motif de l’étude, lors de la nomination des rapporteurs le 21 novembre 2012 : « l’opinion publique est défavorable à l’exploitation des gaz de schiste et cette saisine pourrait lui donner le sentiment que l’on contourne les engagements pris » .

Réagissant au lancement de l’étude par l’Office parlementaire, les élus écologistes du conseil régional d’Ile-de-France « réaffirment leur vive opposition à toute exploitation de ces gaz et huiles de schistes dont les sous-sols franciliens sont riches (des études évaluent les réserves en Seine-et-Marne à 700 millions de barils) »  (lire le rapport du Conseil scientifique régional d’Ile‐de‐France).Rapport du Conseil scientifique régional d’Ile-de-France sur les gaz de schiste{: class= »spip-document text-left »} Mounir Satouri, Président du groupe des élus écologistes au conseil régional d’Ile-de-France, dénonce « cette quête insensée de la dernière goutte de pétrole alors qu’il est grand temps de se tourner vers l’avenir et de miser sur le développement des énergies renouvelables. Il est urgent de sortir de la dépendance aux énergies fossiles et d’entamer la transition énergétique des territoires » .

Les écologistes soupçonnent l’étude sur les « hydrocarbures non conventionnels » d’être une manœuvre de parlementaires pour avancer sur le terrain de l’exploitation des gaz de schistes. Le lancement du rapport parlementaire va jusqu’à susciter l’émoi au gouvernement : Delphine Batho, ministre de l’Écologie, a dû réaffirmer son refus de les exploiter. D’autres membres du gouvernement sont restés muets (voir plus bas).

Une lecture attentive de l’étude de faisabilité du rapport parlementaire (voir le document), comme la procédure l’exige, montre que les rapporteurs ont pris fait et cause pour l’exploitation des gaz de schistes. Etude faisabilité de l’Office parlementaire Le socialiste et l’UMP écrivent que la saisine est l’occasion pour l’Office parlementaire d’étudier les hydrocarbures non conventionnels, « a surgi en France fin 2010, pour aboutir, quelque peu dans la précipitation , à la loi du 13 juillet 2011 » . Une loi interdit certes l’exploration et l’exploitation des gaz de schistes et prévoit l’abrogation des permis de recherches, mais qu’à cela ne tienne, « elle laisse toutefois une porte entrebâillée , puisqu’elle prévoit la création d’une commission chargée d’émettre des avis sur des expérimentations réalisées à seule fin de recherches scientifiques » .

Nous y voilà : une brèche est ouverte et il faut s’y engouffrer, d’autant plus que les « auditions préliminaires confirment l’intérêt de cette saisine sur les techniques alternatives » . Qui sont les auditionnés ? Ils ne sont pas cités. Mais l’Institut français du pétrole et d’autres organismes, ainsi que Total, apparaissent dans le document.

Les premières auditions ont été fructueuses : la « recherche de techniques alternatives » permet de « maîtriser les risques sans céder à l’immobilisme » . Le « nombre d’additifs chimiques utilisés » pour la fracturation hydraulique peut être limité, « l’impact sur les paysages peut être réduit » , « le nombre de camionnages peut également être réduit » , et les « procédés de fracturation » ont évolué pour consommer « significativement moins d’eau que la fracturation classique » . Mieux, il existe une technique de substitution à la fracturation hydraulique : « la fracturation au propane, employée en Amérique du Nord par les entreprises GasFrac et eCorp » , que les rapporteurs proposent d’étudier sur place.

En conclusion, l’étude faisabilité estime que la ### « technique interdite par la loi du 13 juillet 2011, à savoir la fracturation hydraulique, a déjà beaucoup évolué depuis lors. Il s’agit d’une technique ancienne qui évolue aujourd’hui rapidement sous l’effet de considérations environnementales de plus en plus partagées ». On sait déjà ce que contiendra le prochain rapport de l’Opecst : cela plaira sans doute aux lobbies intéressés par l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste.

Rappelons que le gouvernement Ayrault n’a pas fermé la porte à l’exploitation du gaz de schiste. Le très médiatique Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, a choisi l’Union française de l’électricité, pour s’exprimer sur l’exploitation du gaz de schiste en France, en novembre 2012. Un parterre de choix (EDF, GDF Suez, Areva, l’allemand E.ON, l’italien Enel) a entendu avec satisfaction son ralliement aux éléments de langage développés par les industriels de différents secteurs : « Nous travaillons à imaginer une nouvelle génération de technologies propres qui permettraient d’extraire (les gaz de schiste) sans abîmer (l’environnement, ndlr) » , a-t-il lancé.

François Hollande avait précisé que la recherche de techniques alternatives à la fracturation hydraulique continuait et qu’il « prendr(ait) ses responsabilités » si une nouvelle technique respectueuse de l’environnement apparaissait.

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