Longue vie aux (im)purs players !

Christine Tréguier  • 28 mars 2013
Partager :
Longue vie aux (im)purs players !

_ Mon pays va mal – Tiken Jah Fakoly

La presse, toute proportion gardée, c’est un peu comme la Côte d’Ivoire : elle va mal, va mal, va mal, et ça ne date pas d’aujourd’hui. Les médias papier de référence, comme on dit, continuent à perdre des lecteurs qui ne se retrouvent plus dans une information redondante, souvent spectaculaire et complaisante, entrelardée de pubs (déguisées ou non) et, qui plus est, triste à mourir. Et par temps de crise, la tristesse, y’a pas plus contre-productif !

Les gens préfèrent butiner les articles offerts sur les sites web desdits médias, s’informer à d’autres sources, et lire en diagonale les gratuits, lesquels ont l’avantage indéniable de combler la vacuité temporelle du métro-boulot-dodo. Alors, bien sûr, les « professionnels de la profession » s’interrogent, conjecturent sur leur avenir et s’angoissent à l’idée de disparaître, bouffés par le grand méchant loup numérique et par des actionnaires qui rêvent de croissance des bénéfices nets, plus que de qualité de l’information.

Il faut dire, à leur décharge, que le(s) modèle(s) économique(s) de la presse 2.0 requièrent des changements profonds et restent à explorer. Mais leur retard à l’allumage numérique leur a valu de se faire doubler par les internet-players, média-indés, blogueurs (sur le déclin), web 2.0 et une poignée de médias en ligne, autoproclamés « pure players ». Ceux-là ont plus que grignoté leur lectorat : parce que mieux-informants, plus réactifs, plus en phase avec ses préoccupations et le zeitgeist en général. Et surtout plus enclins à le faire participer et pas simplement à lui piquer – façon bénévolat déguisé en crowd-sourcing  – ses photos, ses vidéos, ses infos, voire ses écrits, contre un abonnement gratos ou 24 heures de pseudo-gloire dans un encadré en une.

Mais pour les indés et les pure players aussi, la survie est périlleuse. Experts et blogueurs-VIP invités ont pris d’assaut les colonnes disponibles, reléguant le gentil « lecteur-informateur-collaborateur » dans les coulisses. La chasse aux annonceurs, qui préfèrent de toute façon s’afficher sur les pages des mastodontes, a imposé une stupide et inutile course à l’audience. Audience qui, aux dires des pros de la sondagerie, préférerait l’info-spectacle, l’actu chaude, l’enquête de surface et les jeux du cirque. Aujourd’hui, les plumes et les vocations s’épuisent. Les pures players ont des airs de funambules, tanguant sur leur fil RSS, en quête de tours de table improbables, ou rachetés, comme Rue 89, par un média papier (enfin par ses actionnaires) qui forcément influe. Certains se sont battus et sont morts de leur belle mort (OWNI, BAKCHICH 1.0, etc.). Paix à leurs pixels ! D’autres ont testé, sans grand succès, la doublette web/papier. Le Huff’ Post tente de décliner en France le modèle américain combinant info brute et signatures de pipoles, mais pour combien de temps encore ?

Et puis il y a les tenaces : version énervés comme Reflets.info, ou indignés comme Bastamag. Ceux-là tiennent avec les dons et, pour le second, avec de l’argent public. Enfin, il y a quelques ouinneurs unanimement estimés, mais ils gardent des pieds d’argile : le très médiatique Mediapart ou Arrêt sur images. Tous sont 100 % sans pub, sur abonnement, et offrent plus ou moins de contenus complémentaires gratuits.

Alors quoi, adieu la presse-pas-chère-pour-tous et bienvenue dans le monde de l’info instantanée Twitter-Google-20minutes-and-Co ? Que non point ! Certains ont eu les c… de rester, ou de revenir, au papier pour faire de la vraie info, des papiers qui attaquent l’os, de l’investigation comme on l’aime, de l’actu froide et saignante. En déclinant ou en complétant  les contenus du papier avec des contenus web gratuits. Du vrai média 2.0, hybride et (im)pur. Si le Canard enchaîné (500 000 ventes/numéro) reste obstinément un pur journal avec (c’est récent) site d’abonnement et compte twitter, Siné, lui, sème sa zone mensuelle hors ligne et en ligne. Le discret Terra Eco poursuit son petit bonhomme de chemin. La revue Mouvement aussi. Et puis il y a les OMNI (objet média non identifiés) : XXI , revue-livre belle et exigeante, qui vient de fêter ses 21 trimestres d’« information en grand » et en fait rêver plus d’un avec ses 50 000 ventes/numéro, la discrète « revue Mauvais Esprit » Ravages ou le curieux magazine le Tigre . Ou encore l’inclassable dernier petit (et cher) avatar de Mister Butel l’Impossible . Certaines publications hybrides sont moins riches, en argent, mais tenaces et musclées : CQFD , Fakir , Article 11 , ou le nécessaire Z , à la parution aléatoire. Toutes ont eu chaud aux fesses, mais ont survécu grâce au soutien de leurs lecteurs et à l’abnégation de leurs humaines ressources.

Un peu comme Politis , sauvé il y a sept ans par ses lecteurs mêmes et quelques actionnaires. Sauf que mon/notre/votre journal est resté dans la catégorie un, celle pure papier avec site web, et que comme eux il est soumis aux intempéries. J’ai envie de dire, et ça n’engage que moi, qu’il dispose de quelques atouts pour dépasser ses handicaps et que s’il envisageait sérieusement de décrocher d’une certaine actu-tu-tu et de changer de braquet, il pourrait se transformer une fois encore et devenir un des impurs-players qui ferait du bien où ça fait mal…

Pardon à ceux que j’ai oubliés.

Et lisez donc le Manifeste pour un autre journalisme de XXI , ainsi que le dossier sur la misère en milieu journalistique de Reflets.info.

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don