Cannes 2013 : « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann

Christophe Kantcheff  • 16 mai 2013
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Cannes 2013 : « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann

Dans le film d’ouverture de la sélection officielle, Gatsby le magnifique , de Baz Luhrmann, on entend quelqu’un dire à propos d’une des énormes fêtes que donne le maître des lieux : « c’est une mascarade kaléidoscopique ! » . Pas mal vu. En ce qui concerne le film d’abord. Puis, peut-être, à propos du festival de Cannes lui-même, du moins une certaine réalité de celui-ci, où la « fête » du cinéma se veut résolument bruyante, envahissante, alors que l’ambiance générale serait plutôt à la morose expectative. Pas un journal, pas une publication qui n’évoque les interrogations pesant sur le cinéma et plus particulièrement sur son économie. Depuis décembre et la polémique lancée par la tribune du distributeur Vincent Maraval sur les trop hauts salaires des comédiens français, les prises de parole, souvent vives, n’ont pas cessé, que le gouvernement n’a pas toujours été en mesure de rassurer – c’est le moins que l’on puisse dire. Les raisons de l’inquiétude ne manquent pas : la question de la convention collective des techniciens, celle de l’occupation des écrans par un nombre toujours plus restreint de films, celle de l’exclusion de la culture des négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ou les toutes récentes propositions du rapport Lescure.

Illustration - Cannes 2013 : « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann

Gatsby le magnifique , donc, pour égayer ce début de festival ? Par son côté gros barnum, peut-être. C’est étonnant comme le cinéma peut s’avérer vraiment crétin avec la littérature, surtout avec les « chefs d’œuvre mythiques » ou prétendus tels. L’an dernier, Walter Salles avait cru devoir agiter ses personnages dans tous les sens pour recréer l’atmosphère de Sur la route . Ici, Baz Luhrmann incarne le souffle fiévreux de Fitzgerald en montrant le visage de celui qui écrit trempé de sueur quand il est devant sa machine…

Gatsby le magnifique a la même subtile scénographie que les groupes de hard les plus excentriquement bariolés, genre Kiss si cela dit encore quelque chose à quelqu’un : mauvais goût et gros effets assurés. C’est-à-dire le plus navrant contre-sens possible vis-à-vis du personnage raffiné et mystérieux qu’est Gatsby. Pas une explosion, pas un feu d’artifice ne manque dans les scènes de fête, qui ont fait la réputation du cinéaste depuis Moulin rouge (film d’ouverture de Cannes en 2001, déjà…). Luhrmann n’hésite devant aucune touche grossière : un trompettiste noir posé sur un balcon pour faire couleur locale, un avatar (blanc) déjanté de Cab Calloway pour faire années 1920 (mais la musique hésite entre le rap et le r’n’b, il ne faut pas dérouter son public…)

Illustration - Cannes 2013 : « Gatsby le magnifique » de Baz Luhrmann

Sur le roman de Fitzgerald, Luhrmann a formellement le regard du nouveau riche : il n’en retient que le clinquant, l’anecdote, en 3D bien sûr. « La fêlure » de Gatsby (du titre d’une célèbre et magnifique nouvelle fitzgeraldienne), ce qui en fait autre chose qu’un escroc de grande ampleur, reste étrangère au réalisateur : le rêve d’une nouvelle vie enfin en harmonie avec ses sentiments, avec l’amour qui le hante depuis des années. Mais si le cinéaste s’en tient au décorum, le comédien, lui, montre tout autre chose. Leonardo DiCaprio a su approcher Gatsby. Il en donne une version beaucoup moins glamour que Robert Redford dans la version de Jack Clayton (1974), plus ombrageuse et finalement plus inquiétante. Lorsque Gatsby se jette sur Buchanan (Joel Edgerton), alors que les deux hommes se disputent la femme de celui-ci (Carey Mulligan, qui nous refait ses moues humides de Drive ), DiCaprio semble tout droit sorti de l’asile de Shutter Island . Il entre, à ce moment, dans le vertige fitzgeraldien, et le réinvente. Mais ne sauve pas le film pour autant.

Bon, et voilà la pluie (air connu depuis le rinçage en règle de l’an dernier)…


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