« Inside Llewyn Davis » de Joel et Ethan Coen ; « Borgman » d’Alex van Warmerdam

Christophe Kantcheff  • 20 mai 2013
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« Inside Llewyn Davis » de Joel et Ethan Coen ; « Borgman » d’Alex van Warmerdam

Avec Inside Llewyn Davis , présenté aujourd’hui en compétition, Joel et Ethan Coen signent un film très plaisant sur la musique folk revival des années 1950. L’action se passe en 1961, c’est-à-dire juste avant que Bob Dylan ne débarque et renouvelle tout de fond en comble. Leur héros, Llewyn Davis (Oscar Isaac), entièrement fictionnel, est un des nombreux auteurs-compositeurs-interprètes qui se produisaient alors sur la scène folk, comme le musicien Dave van Ronk, bien réel celui-là, qui a laissé un livre de souvenirs, dans lequel les frères cinéastes ont puisé nombre d’anecdotes. Ce sont les chansons qu’il interprétait, comme Hang me, Hang me ou Cocaine , que Llewyn Davis reprend dans le film.

(Etrange bande annonce qui fait entendre Bob Dylan et joue au teasing avec Oscar Isaac/Llewyn Davis chanteur)

Les frères Coen ont bien fait de ne pas choisir pour personnage principal un chanteur connu. Le récit de l’ascension d’une vedette, puis celui de la gestion du succès : le film aurait été trop balisé. Llewyn Davis ne parvient pas à vivre de sa musique. Fauché en permanence, il dort à gauche à droite, là où un canapé s’offre à lui. Son premier disque n’a absolument pas marché. Pour autant, il n’est prêt à aucune compromission. Mais les cinéastes ont aussi eu raison de ne pas en faire un médiocre. Le manque de succès chez lui ne vient pas d’un manque de talent. Oscar Isaac, dans ce rôle difficile car il tient à lui seul toute la crédibilité du film, se révèle non seulement bon comédien mais aussi excellent chanteur et musicien. Le film s’ouvre sur lui, ou plus exactement sur son personnage en train d’interpréter une chanson au Gaslight Café (aujourd’hui disparu mais mythique) dans Greenwich Village, à New York. C’est clair d’emblée : ce gars-là n’est pas un tocard.

Illustration - « Inside Llewyn Davis » de Joel et Ethan Coen ; « Borgman » d'Alex van Warmerdam

Mais alors ? Ayant l’occasion de passer une audition devant le directeur d’un cabaret important de Chicago, celui-ci l’écoute, impassible. Son jugement final : « ce n’est pas avec ça qu’on va remplir la salle » . Trop triste ? Pas assez commercial ? On ne saura pas. Reste que Llewyn Davis ne démérite pas, mais ne décolle pas. En cela, il ressemble à beaucoup d’autres musiciens, qu’il croise pour certains sur son chemin.

Les frères Coen parviennent pourtant à faire une comédie d’ Inside Llewyn Davis , même si elle peut parfois paraître amère. Certains épisodes sont franchement drolatiques. Comme la soirée chez des amis universitaires dont la femme fredonne faux pour l’accompagner au chant, ce qui déclenche chez Llewyn une vive colère. Ou le voyage en voiture vers Chicago, avec un gros musicien de jazz à problèmes gastriques (John Goodman, un habitué des Coen) et un conducteur taiseux. Plus acides, les rapports qu’il entretient avec la femme de son meilleur ami (Justin Timberlake). Elle a couché naguère avec lui mais le traite en permanence de looser (Carey Mulligan, celle de Gatsby le magnifique , mais ici enfin convaincante). C’est aussi le moment où Llewyn chante devant son père, un vieillard aphasique en maison de retraite : carrément poignant, même si les cinéastes temporisent tout pathos en enchaînant avec de l’humour noir.

Illustration - « Inside Llewyn Davis » de Joel et Ethan Coen ; « Borgman » d'Alex van Warmerdam

Llewyn l’intrangisant a aussi des problèmes plus ou moins burlesques avec un (ou plusieurs) chats roux, avec les autres musiciens qui se produisent au Gaslight Caffe (certains entonnent des airs plus traditionnels – ce qui a déclenché pas mal de ricanements lors de la projection pour la presse, quelle absence de goût !), ou encore avec sa sœur. Llewyn Davis a des problèmes sauf quand il chante. Joel et Ethan Coen rendent ici mieux qu’un hommage au folk des années 1950, dans un New York hivernal et reconstitué avec discrétion. Ils disent à leur manière, c’est-à-dire sans aucune trace de romantisme bien entendu, que cette musique peut justifier une existence.

Borgman

À Cannes, les films vont décidément plus vite que cette chronique. Pas eu le temps de parler ici de Tel père tel fils (en compétition), du Japonais Kore-Eda Hirokazu, qui a pourtant beaucoup de charme, et une certaine pertinence par rapport à notre propre actualité, nous, les Français (j’en parlerai dans l’« À flux détendu à venir ») ; ni de Jimmy P. (en compétition également), un film plutôt surprenant d’Arnaud Desplechin, même si pas réellement convaincant.

Illustration - « Inside Llewyn Davis » de Joel et Ethan Coen ; « Borgman » d'Alex van Warmerdam

Mais parfois ce n’est pas le temps qui me fait défaut, mais l’envie. C’est le cas de Borgman , du néerlandais Alex van Warmerdam, présenté aujourd’hui en compétition. Le dossier de presse en donne le résumé suivant : « Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou bien l’incarnation bien réelle de nos peurs ? »
Un film antipathique, faussement énigmatique mais vraiment donneur de leçon, plutôt mysogine (le personnage de l’épouse est totalement insensé), et lourdingue. On oublie (sauf si au palmarès, mais là ce serait une cata) !

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