« La Bataille de Solférino » de Justine Triet ; « Wara No Tate (Shield of Straw) » de Takashi Miike

Christophe Kantcheff  • 21 mai 2013
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« La Bataille de Solférino » de Justine Triet ; « Wara No Tate (Shield of Straw) » de Takashi Miike

Il arrive qu’un film de la programmation de l’Acid ait incroyablement la cote. Qu’il soit très « tendance ». C’est le cas du film présenté aujourd’hui : la Bataille de Solférino , de Justine Triet. Le projet semble avoir attisé la curiosité, un article dans les Cahiers du cinéma a consacré la réalisatrice parmi les « jeunes cinéastes français pas morts » (titre de une du numéro d’avril) et une projection parisienne pré-cannoise a mobilisé une belle brochette de critiques « importants », inhabituelle pour un film Acid.

Illustration - « La Bataille de Solférino » de Justine Triet ; « Wara No Tate (Shield of Straw) » de Takashi Miike

La Bataille de Solférino se déroule le 6 mai 2012, mais a peu à voir avec une quelconque intrigue interne au PS. C’est l’histoire de Laetitia (Laetitia Dosch), journaliste sur une chaîne d’info en continu, qui a pour tâche d’assurer des directs rue de Solférino le jour de l’élection présidentielle. Laetitia est divorcée, mère de deux enfants en bas âge, qu’elle confie ce jour-là à un babysitter peu expérimenté qui a pour consigne de ne pas ouvrir à Vincent (Vincent Macaigne), leur père. La justice ayant interdit à celui-ci de voir ses enfants en l’absence de leur mère.

Les cris d’enfants qui ouvrent le film annoncent le ton de l’ensemble : strident, véhément, stressant. Justine Triet a construit son film sur le mode du psychodrame électrique permanent, auquel s’ajoute souvent un deuxième sens humoristique, même si cet humour peut être noir. Le père, que Vincent Macaigne rend à la fois pathétique et inquiétant, réussit à s’introduire dans l’appartement, ce qui a pour conséquence de déclencher à distance une panique de la mère, qui doit en même temps effectuer ses flashs télévisés réguliers.

La bataille de Solférino est moins un film hystérique qu’un film sur l’hystérie généralisée. Celle-ci est partout et culmine dans les scènes tournées en immersion dans la foule (la vraie) qui attend les résultats devant le siège parisien du PS – très gros effet de réel dont la réalisatrice tire bien parti (mais dont certains semblent surdimensionner le côté novateur – n’exagérons rien).

Laetitia et Vincent sont à couteaux tirés, en engueulade permanente sans pouvoir un instant s’écouter, d’autant que la mère a cru protéger ses enfants de leur père en les faisant venir avec le babysitter dans cette marée humaine : il s’agit là de l’hystérie familiale ou sentimentale. Par ailleurs, les sympathisants et militants PS rassemblés crient pour un rien, ne manquent pas de trépigner stupidement dès qu’ils sont dans le champ d’une caméra, et s’entretiennent dans une excitation de groupe irrationnelle. Enfin, l’obligation pour la journaliste d’intervenir devant une caméra à intervalle régulier renvoie à l’hystérie médiatique, qui exige que des paroles soient déversées même si celles-ci sont vaines et sans substance.

Le pouls de la dernière partie s’apaise peu à peu, sans pour autant que le film perde de sa vitalité. Si l’hystérie recule, c’est parce que se noue une alliance masculine à trois personnages, la nuit venue, dans l’appartement de Laetitia. Sont présents : le nouveau petit ami de celle-ci (Virgil Vernier, ici acteur mais qui est aussi réalisateur – cf. le récent Orléans ), Vincent, et, venu à la demande de celui-ci, un apprenti avocat (Arthur Harari) accompagné de son chien neurasthénique. Laetitia est quasiment exclue de ce cénacle, au point qu’à un moment de la nuit, c’est elle qui entreprend une longue promenade solitaire, avec le chien, dans les rues de Paris. Impossible de ne pas concevoir ici la solidarité de la cinéaste avec son personnage féminin.

La bataille de Solférino était donc « tendance », mais une tendance justifiée.

Wara No Tate (Shield of Straw)

Le Japonais Takashi Miike, réalisateur du très beau remake d’ Hara-Kiri : mort d’un samourai (à Cannes en 2011), est entré dans la compétition avec Wara No Tate (Shield of Straw) , en se distinguant : la presse, française en tout cas, semble majoritairement s’accorder pour décerner à son nouvel opus la palme du nanar de la compétition.

Illustration - « La Bataille de Solférino » de Justine Triet ; « Wara No Tate (Shield of Straw) » de Takashi Miike

Pas d’accord. Même si ce n’est pas le film du siècle, il y a quelque chose d’intéressant dans l’alliance des contraires : un thriller au style outré qui rappelle les manga d’un côté, des questionnements d’ordre philosophique de l’autre.

L’histoire est simple : un tueur de petite fille a assassiné celle d’un vieux milliardaire, qui promet une fortune colossale à qui l’abat ou tente simplement de le faire. Ce qui rend la protection de ce tueur, pour l’amener à la justice afin qu’il soit jugé, extrêmement périlleuse. Deux policiers d’élite, un homme et une femme, sont désignés pour cette mission.

Alors que les scènes d’action se succèdent qui entraînent beaucoup de morts (des pauvres, notamment, attirés par la récompense, s’improvisent tueurs et en subissent les conséquences), l’assassin d’enfants, lui, doit rester indemne. Cette situation peut finir par apparaître absurde, mais elle est fondée sur un principe : la justice doit passer. Que ce principe soit questionné dans un pays comme le Japon où la peine de mort est appliquée de manière intraitable et approuvée par les 4/5èmes de la population, n’est pas anodin. Plus généralement, c’est la justification des principes moraux qui est ici interrogée, quand tout porterait à les bafouer.

Je connais des « nanars » un peu moins conséquents…

Temps de lecture : 5 minutes
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