Notre-Dame-des-Landes : marché de dupes autour des projets d’aéroport et de liaisons ferroviaires

Les opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes pointent le « jeu trouble des services de l’Etat » en révélant les plans du projet et en dénonçant le débat public autour de nouvelles liaisons ferroviaires, conçues pour desservir le futur aéroport. Histoire d’un gaspillage financier et environnemental en cours.

Thierry Brun  • 23 octobre 2014
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Notre-Dame-des-Landes : marché de dupes autour des projets d’aéroport et de liaisons ferroviaires

Comment l’État « peut-il justifier une si grande différence entre ce que la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) exige pour Nantes Atlantique [l’actuel aéroport] et ce que le concessionnaire à l’intention de réaliser pour Notre-Dame-des-Landes ? » , s’est interrogée François Verchère, coprésidente du Collectif d’élu-e-s doutant de la pertinence de l’aéroport (Cédpa) de Notre-Dame-des-Landes, lors d’une conférence de presse, le 14 octobre. Interrogée par Politis , la conseillère générale de Loire-Atlantique a aussi exprimé quelques doutes sur l’attitude adoptée par une autre administration, la Commission nationale du débat public (CNDP), qui a ouvert, depuis le 4 septembre, le débat public sur le projet de « nouvelles liaisons ferroviaires Ouest Bretagne-Pays de la Loire » (LNOBPL).

Françoise Verchère a présenté les « nouveaux éléments, non cités par le Canard enchaîné, et qui vont dans le même sens que l’article » publié le 8 octobre et intitulé : « Le nouvel aéroport de Nantes serait plus petit que l’ancien ! » [^2]. Car l’examen des plans du permis de construire, « évolutif » , assure Mikaël Doré, sous-préfet en charge du dossier, déposé par la société Aéroports du Grand Ouest, filiale de Vinci Airports et concessionnaire, révèle un projet dont l’utilité pose question.

Les services de la DGAC ont validé un projet dans lequel, entre autres, la caserne des pompiers serait située à plus de 3 kilomètres de la piste. Une distance qui ne respecte pas les recommandations de ladite DGAC pour l’actuel aéroport de Nantes Atlantique. Le Cédpa a en effet relevé que les services techniques de la DGAC ont été très exigeants dans leur rapport sur l’« évaluation du réaménagement de Nantes Atlantique dans le scénario d’un maintien de l’activité » publié en novembre 2013, une proposition vite écartée au prétexte, entre autres, que l’organisation des infrastructures ne permet pas « d’accueillir 5, 7 puis 9 millions de passagers » et que le coût dépasserait « le milliard d’euros » .

Les « découvertes »

« Nous cherchons aussi désespérément le bâtiment de fret à Notre-Dame-des-Landes. Que signifie son absence ? » . La surface réservée au bâtiment destiné à la maintenance des avions n’est plus que de 2 013 mètres carrés, alors que l’actuel aéroport dispose de près du double ! Quant au trajet des passagers au départ, il serait un véritable parcours du combattant par rapport à Nantes Atlantique, alors que dans sa présentation la filiale de Vinci Airports affirme que son projet permettra « l’amélioration du parcours client ! » .

« Comment peut-on justifier que le nouvel aéroport présente des superficies bien moindres pratiquement pour tous les services au public (les salles d’embarquement, les postes d’inspection et de filtrage, le nombre de parkings pour les avions, etc.) que l’actuel aéroport alors que la DGAC prétend qu’il faut pour garder Nantes Atlantique augmenter drastiquement toutes les surfaces ? » , interrogent Françoise Verchère, Jean-Paul Naud (maire de Notre-Dame-des-Landes) et Philippe Trotté (ex-maire de Vigneux-de-Bretagne) dans un courrier adressé à Alain Vidalies, ministre délégué aux Transports. Le sous-préfet parle de confusion, « les bureaux étant à l’extérieur » . « La localisation des bureaux est très claire sur les plans , rétorque Françoise Verchère. Et Notre-Dame-des-Landes est bien conçu pour accueillir de 4 millions de passagers jusqu’à 5 millions de passagers dès son ouverture » [^3].

Une autre question est posée au ministre, qui concerne l’appel à candidature pour la réalisation de l’aéroport du Grand Ouest, lancé sur la base d’un cahier des charges rédigés par les services de la DGAC : « De deux choses l’une : ou bien le cahier des charges ressemblait à ce que la DGAC veut pour Nantes Atlantique, et dans ce cas comment a-t-elle pu accepter finalement tout autre chose ? Ou bien elle a rédigé pour Notre-Dame-des-Landes un cahier des charges plus modeste que celui qu’elle nous a présenté pour Bouguenais [l’actuel aéroport], et alors elle a sciemment chargé la barque ici pour justifier à nouveau le transfert… »

Un projet qui serait plus modeste avec une facture à géométrie variable, « une gabegie financière et environnementale » , dénoncent les opposants. Vinci Airports présente un coût de 561 millions d’euros HT (aéroport, desserte routière et tour de contrôle) qui devrait accueillir chaque année jusqu’à 9 millions de passagers, une capacité prévue à l’horizon 2050. Pour rassurer les collectivités, Vinci promet que leur contribution ne s’élèverait que de 115,5 millions d’euros. Mais la note est estimée à près d’un milliard d’euros TTC, soit presque le double, avec la même capacité annuelle, par les architectes Ivan Fouquet et Franco Fedele qui ont réalisé une étude à la demande du Cédpa, intitulée : « Optimisation et développement de l’aéroport de Nantes-Atlantique » et datée du mois de juin (voir tableau ci-dessous).

Ainsi, le gouvernement, prompt à réduire les déficits budgétaires et la dotation des collectivités, semble peu soucieux de dilapider des centaines de millions d’euros d’argent public dans le cas de Notre-Dame-des-Landes.

Une évaluation mise à mal

Le Cédpa a de plus contesté l’évaluation du coût du réaménagement de Nantes Atlantique par la DGAC : « Des architectes ont travaillé à une autre proposition, réaliste et nettement moins onéreuse. Le coût exorbitant avancé par la DGAC aurait dû imposer une étude contradictoire » . Dans leur contre-proposition, les architectes montrent que le « développement, l’optimisation et l’agrandissement de l’aéroport existant aux horizons 2030 et 2050 étaient la meilleure alternative possible, dans l’emprise foncière actuelle et pour un coût deux fois moins important que le projet décrié » . L’étude indique en effet que l’évaluation de la DGAC est « largement surestimée » .

L’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa) indique, dans son rapport pour l’année 2013, qu’elle a été « interrogée par une association d’élus à la fois sur la pertinence de l’étude menée par la DGAC relative à l’avenir de Nantes Atlantique et sur la contre-étude commandée par ladite association et réalisée par un cabinet indépendant » . Elle souligne « la qualité de l’étude relative au maintien de Nantes Atlantique produite par l’association, offrant un propos clair et très pédagogique, et qui pourrait servir de modèle à nombre de projets de l’administration » .

L’Acnusa estime que l’étude de la DGAC « semble présenter des prévisions excessivement optimistes, en particulier sur le nombre de passagers envisagé à terme, et, d’autre part, elle semble sous-évaluer (…) la qualité de la flotte, les capacités d’emport des aéronefs et la répartition des vols nord/sud ». Pour conclure qu’en « l’état actuel du dossier, l’Autorité considère qu’il ne serait pas inutile de mener une expertise indépendante sur ce sujet, comme le demandent certaines associations d’élus et de riverains » .

De nouvelles lignes ferroviaires

Il n’y a pas que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui menace les milliers d’hectares de terres agricoles et de bocage. Car pendant que la bataille des opposants continue pour annuler le projet de Vinci Airports, une procédure de débat public (prévu jusqu’au 3 janvier 2015) a été lancée autour d’un autre projet, écologiquement destructeur aux dires des écologistes. Il s’agit du projet de « nouvelles liaisons ferroviaires Ouest Bretagne-Pays de la Loire », lié à la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire. Réseau ferré de France (RFF) a en effet présenté trois scénarios (mauve, bleu et vert) qui tous devront desservir l’aéroport du Grand Ouest « à l’horizon 2030 » , un des arguments massues du débat public en cours.

Là encore, se profile la perspective d’un gaspillage de l’argent public, préviennent élus et associations qui réclament l’examen d’une autre solution. La Cour des comptes rappelle qu’une étude réalisée par la SNCF pour la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire, qui inclue le projet de nouvelles liaisons ferroviaires Ouest Bretagne-Pays de la Loire, « avait conclu en 2007 à un coût d’investissement élevé pour un gain faible de temps et une durée de vie courte de l’investissement » [^4].

« RFF présente trois scenarii qui ne sont pas comparés dans la perspective du moindre dégât environnemental, comme pour l’aéroport , réagit Françoise Verchère, qui ajoute : « En réalité un scénario est privilégié, le bleu. Et c’est une nouvelle ligne qui va forcément manger des terres agricoles. C’est d’ailleurs ce saucissonnage que l’Europe reproche à la France : les incidences du projet d’aéroport n’ont pas été intégrées, l’impact des voies ferrées n’étant pas dans le dossier actuel » .

Surtout, le débat public a lieu sur la base d’un dossier dans lequel RFF laisse entendre qu’il a déjà tranché. Le document indique notamment qu’une « autre solution aurait été de reprendre (…) l’axe via Châteaubriant. Celle-ci est vite apparue impossible » , au grand dam des élus EELV des conseils régionaux Bretagne et Pays de la Loire, de France Nature Environnement Bretagne et Pays de la Loire, du Cédpa et de l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Acipa), qui ont demandé des contre-expertises.

Des experts indépendants ?

Élus et associations veulent que soit étudiée l’amélioration de la liaison ferroviaire entre Nantes et Rennes en ne tenant pas compte de la desserte du futur aéroport. Le Cédpa a pour sa part demandé d’examiner la proposition consistant à passer par Châteaubriant « en faisant évoluer la liaison tram-train vers un TER performant, pouvant se connecter avec l’étoile ferroviaire existant vers le sud Loire et l’actuel aéroport » .

La Commission nationale du débat public (CNDP) a donc été saisie en mai et juin de demandes d’expertises complémentaires par ces organisations opposées au projet d’aéroport. Lors de sa réunion du 2 juillet, la CNDP s’est penchée sur les demandes en question, tout en considérant « que le dossier du maître d’ouvrage [RFF] était suffisamment complet pour pouvoir être soumis au débat public » , et en confiant à quatre experts une mission pour étudier l’ensemble des demandes.

« L’étude complémentaire qui a été acceptée (le passage par Châteaubriant et pas par Notre-Dame-des-Landes) pour la liaison Nantes-Rennes risque de souffrir des défauts habituels , relativise Françoise Verchère. Les quatre experts sont de grands corps de l’Etat et ont travaillé pour RFF ou pour la DGAC. Il n’y a pas d’experts de notre côté et pas de travail en commun. Il est donc vraisemblable que l’on va nous resservir sans surprise le résultat qui est déjà dans l’étude de RFF ! »

Le CNDP a choisi comme expert Claude Abraham, qui fut directeur général de l’aviation civile de 1976 à 1982. Celui-ci rendra-t-il un avis s’opposant à la nouvelle liaison ferroviaire censée desservir un projet d’aéroport validé par l’administration qu’il a dirigée ? L’expert a de plus gardé quelques liens avec la DGAC : le Commissariat général à la stratégie et la prospective lui a confié en 2013 une mission intitulée : « Les compagnies aériennes européennes sont-elles mortelles ? Perspectives à vingt ans » , qui a fort logiquement consulté… la DGAC.

Jean Deterne, ancien directeur général de la Société des autoroutes-Paris-Rhin-Rhône (APRR) de 1997 à 2006, qui a touché près de 600 000 euros pour son départ, est un expert autoroutier qui a ensuite travaillé pour le compte d’Egis International en 2010 et 2011. Egis n’est pas qu’un géant mondial de l’ingénierie routière, le groupe est aussi un spécialiste de l’ingénierie ferroviaire, « maître d’œuvre qualifié par RFF et la SNCF » , souligne sont site Internet. Jean Deterne a donc les compétences requises pour soumettre son analyse indépendante à la CNDP…

La CNDP a prévenu que les travaux des experts devront être achevés avant le 20 novembre, « de façon à ce qu’ils puissent être présentés lors de deux réunions publiques prévues le 27 novembre à Nantes et le 2 décembre à Rennes » . Pourquoi aller si vite dans le choix, éventuel, d’une nouvelle ligne ferroviaire, et d’une nouvelle gare en plein champ, qui traverserait Notre-Dame-des-Landes ?

[^2]: Lire aussi « Notre-Dame-des-Landes dans un gros trou d’air », Canard enchaîné du 22 octobre

[^3]: Page 7 du bilan 2012-perspectives 2013 d’Aéroports du Grand Ouest

[^4]: La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence, Cour des comptes, octobre 2014

Temps de lecture : 11 minutes
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