ATTENTAT: réunion des ministres de l’Intérieur de l’UE et le risque d’un « Patriot Act » à la française pour encadrer nos libertés…

Claude-Marie Vadrot  • 10 janvier 2015
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On sait, ou l’on croit savoir, comment les Etats Unis et son président Bush ont irrémédiablement blessé les libertés de leur pays. Non pas en rédigeant à la hâte un « Patriot Act » de plusieurs centaines de pages restreignant les libertés. Mais en profitant de l’émotion d’un peuple qui ne comprenait (hélas) pas pourquoi il avait été frappé, pour faire adopter une impressionnante série de textes liberticides baptisée « Patriot Act » dont le pouvoir rêvait depuis des années. Les dirigeants conservateurs américains ont répondu à l’émotion légitime d’une population pour les enfermer dans un carcan. Ils pouvaient le faire car il y avait brusquement une « demande »…

Arrivé en reportage à New York le lendemain de l’attentat du 11 septembre, j’ai été sidéré, abasourdi, atterré par les commentaires des journalistes américains dans leurs médias écrits ou télévisés. Non seulement ils ne comprenaient pas pourquoi leur pays avait été attaqué, non seulement ils en appelaient –eux aussi !- à leur dieu pour condamner ce qui venait de se passer mais en plus ils réclamaient à cors et à cris, un contrôle du pays, des lois répressives, une surveillance de l’Internet, une répression des idées et l’instauration d’une dénonciation organisée des « mauvais américains ».

Cette presse américaine pour laquelle j’avais encore une certaine estime entrainait le pays dans un mauvais « trip » qui le mena directement au sinistre et illégal pénitencier de Guantanamo et à des interdictions professionnelles, en passant par des milliers d’abus de droit et de torture à travers le monde et par la surveillance informatique étroite des abonnements à des mauvais journaux ou à la lecture des mauvais livres dans les bibliothèques. Ainsi commença le fichage politique de millions d’individus aux Etats-Unis et à travers le monde. Le pays lançait ainsi une grande surveillance qui perdure au point que des entreprises américaines qui ont aujourd’hui pignon sur rue peuvent vendre des profils politiques et personnels d’américains ou d’étranger à leurs clients : de leur adresses à leurs habitudes en passant par leurs lectures, leurs divorces et leurs préférences sexuelles. Cela coûte cher mais c’est aussi complet que le souhaite le client puisque les sources de la grande surveillance leur sont ouvertes.

Je ne voudrais pas, mais j’ai peur, que la tragédie que nous venons de traverser puisse permettre au pouvoir français de faire adopter à la représentation nationale un « Patriot Act » à la française. Je ne voudrais pas que les grandes manifestations de dimanche servent à restreindre les libertés. Je ne voudrais pas que l’exploitation de la peur serve à légitimer la mise en cage de nos idées et de nos comportements. Ou tout au moins que l’exploitation de nos angoisses autorise un gouvernement à aggraver encore le filet de contrôle qui se resserre déjà chaque jour sur nos libertés privées et publiques.

Je ne voudrais pas que l’assassinat d’une dizaine de libertaires comme mon ami Cabu et tous les autres massacrés, soit utilisé pour que la liberté de ceux qui vont les remplacer puisse un jour prochain être remise en cause.

La vigilance doit certes s’exercer à l’encontre des fous de dieu, mais elle est également indispensable pour empêcher ceux qui nous gouvernent de profiter d’un crime odieux pour nous asservir. Ce qui, à terme, rendrait impossible la publication d’un journal libre et iconoclaste comme Charlie-Hebdo.

PS Dans le langage des ministres de l'Intérieur européens réunis à Paris quelques heures avant la Marche, le futur de la mise en cage de nos libertés se nomme "harmonisation des législations" et , je cite toujours "rapprochement avec les normes séuritaires américaines" ou "constitution d'une fichier européen"...
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