Sur le mont Hymette (2)…

…quand le soleil se lève.

Bernard Langlois  • 9 février 2015
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Donc, la politique vient plus tard. Mais introduite aussi (je parle toujours pour le petit Français que j’étais…) par la littérature ou la peinture.

La Grèce antique n’est plus qu’un souvenir; successeur de Rome, l’empire byzantin, aussi, qui, miné par les querelles religieuses, territoriales et dynastiques sans fin, agressé de toutes parts, spolié par la Sérénissime et mis à sac par les Croisés (plus pressés de remplir leurs coffres que de le libérer Jérusalem…) finit par tomber sous le joug du Sultan: la prise de Constantinople (1453), qui devient Istanbul, marque le début d’une longue domination des territoires grecs, parsemée de révoltes et de répressions sanglantes.


Illustration - Sur le mont Hymette (2)…


(Delacroix: l’entrée des Croisés dans Constantinople)

Jusqu’à la guerre d’indépendance et la proclamation d’icelle, au début du 19ème siècle et deux ans après, par la reconquête turque, menée par Méhémet Ali, le vassal égyptien du Sultan.

Ce fut saignant à souhait, et malgré la pression de l’Autriche-Hongrie, qui défend le statu quo, l’Angleterre et la France d’un côté, la Russie de l’autre, vont finir par s’en mêler, poussés par les intellectuels et les artistes, de Rossini à Pouchkine, enflammés pour la cause hellène.

De ça aussi restent bien des souvenirs scolaires: le père Hugo, bien-sûr : « Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil (…) Ami dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus, je veux de la poudre et des balles! » Et quand Missolonghi, le verrou d’Athènes, finit par tomber, nous avons encore dans l’œil l’image de Byron méditant sur le rocher, où il mourra…

Après bien des atermoiements (on pense à la phase d’observation d’une course cycliste sur piste: qui va plonger le premier?) les Puissances finissent donc par intervenir, [^2] et la Sublime Porte, par renoncer à ce qu’on appellera « la petite Grèce »: en gros, Athènes, le Péloponnèse et les Cyclades.

On est en 1830. Les Grecs, après quatre siècles d’occupation turque, pensent pouvoir jouir enfin d’une indépendance chèrement acquise et souhaitent installer une république… mais Londres veille! Et impose une monarchie: c’est un prince bavarois (façon de neutraliser Vienne et Berlin) de seize ans qu’on installe sur le trône. Il importe son drapeau et ses hommes, qui pillent allègrement le pays. Renversé au bout de trente ans, il s’en retourne vers ses brumes natales, laissant un pays ruiné.

Cette fois, c’est un Danois que recrutent les Anglais: Georges 1er sera assassiné à la veille de la Grande guerre, mais aura créé une dynastie qui durera jusqu’en 1973…

Un siècle de bruits et de fureurs, avec les Balkans dans l’œil du cyclone et le déchaînement de la guerre mondiale, première du nom : la défaite allemande et turque entraîne le démantèlement définitif de l’empire ottoman, toujours ça de gagné pour les Grecs.

Mais on ne leur laissera pas reprendre un pouce du territoire antique, ils devront se contenter de ce qu’ils ont.

On connaît la suite, plus près de nous: la résistance à l’occupation nazie et la guerre civile, qui oppose les communistes au régime soutenu par la Grande-Bretagne: elle ne cessera qu’en 1949, quand Tito aura renoncé à aider les maquis rouges.

Le pays est exsangue, la monarchie débile, les conservateurs au pouvoir incompétents, le désordre s’installe: voici venu le temps des colonels (1967), de la torture et des camps.

C’est aussi celui où tout bouge en Europe, où partout la jeunesse se révolte contre une société qu’elle juge étouffante, mais aussi contre la guerre du Vietnam et l’impérialisme US en général: le régime militaire grec est en bonne place dans la détestation des soixante-huitards.


Illustration - Sur le mont Hymette (2)…


Là encore, c’est grâce à un film, tiré d’un roman, que le grand public va être sensibilisé: le très célèbre Z de Costa-Gravas [^3] va hâter la fin de ce régime détestable, qui aura tenu sept ans.

L’histoire de la Grèce, redevenue une république, va désormais se confondre avec celle de l’Union européenne, qu’elle rejoint en 1981, avant d’être admise dans la zone euro en 2001.

On sait quel prix elle va devoir payer pour tenter de satisfaire aux fameux critères de Maastricht et comment elle finit, démocratiquement, par porter au pouvoir ce parti Siryza, qui exclut de continuer à affamer le peuple sous les coups de fouets de la détestée troïka…

L’avenir n’est écrit nulle part, et personne ne peut dire ce qu’il adviendra, et de la Grèce, et de sa place dans l’UE— ni de la possible extension en Europe de son modèle. Il est clair qu’il fait trembler les vieux partis vermoulus, comme le PSOE espagnol ou le PS français qui se croient incontournables, comme se croyait encore il y a un mois leur partenaire et clone Pasok.

Siryza peut échouer, bien sûr, et les stupides institutions européennes feront tout pour (elles ont déjà commencé). Mais quoiqu’il arrive, Tsipras et ses compagnons ont montré le chemin: oui, une autre gauche est possible…

Et nous avons vu, comme le dit le charismatique nouveau Premier ministre, « le soleil se lever sur la Grèce »…

[^2]: Chacune veillant à ce que les autres n’en tirent pas davantage profit qu’elle-même.

[^3]: Le roman du même nom est signé Vassilikos, et inspiré d’un fait réel, l’assassinat du député grec Grigoris Lambrakis en 1963 à Thessalonique. Servi par une pleïade de grands comédiens (Montand, Trintignant, Bouise, Fresson, Perrin, Périer, Dux, Bozzufi, Denner, et bien d’autres).

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