Un palmarès du « copyfraud »

Christine Tréguier  • 4 février 2015
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Illustration - Un palmarès du « copyfraud »

Les sociétés de protection des ayants droits réclament toujours plus de lois pour protéger le droit d’auteur et combattre le « piratage », mélangeant allègrement téléchargement privé et duplication de masse à des fins commerciales. La fraude au copyright a bonne presse. Par contre on parle beaucoup moins du « copyfraud », une pratique qui consiste à s’approprier indûment une oeuvre appartenant au patrimoine commun ou au domaine public. Soit en y apposant un copyright qui n’a pas lieu d’être, soit en posant des restrictions à son usage et sa reproduction. Lionel Maurel, responsable du blog S.I.Lex et Thomas Fourmeux responsable du blog Biblio Numericus ont donc décidé, à l’occasion du Festival du Domaine public, d’organiser les premiers Copyfraud Awards. Ils ont demandé aux internautes de voter pour décerner les gagnants des prix sanctionnant les pires abus en la matière.

Dans la catégorie « Copyfraud bien de chez nous » on trouve toute une série d’établissements culturels nationaux qui s’accaparent des biens communs. C’est le cas du Musée d’Orsay qui interdit toute photographie des peintures et sculptures exposées dans son enceinte. Le Musée du Louvre, lui, appose un copyright sur une simple reproduction photographique de la Joconde, en tout point identique à l’original, présente sur son site. La BNF est également distinguée pour soumettre les reproductions numériques d’ouvrages du domaine public à autorisation et redevance. Idem pour le portail Arago du ministère de la Culture qui interdit toute reproduction des images numérisées de sa collection en ligne, pourtant signées de photographes morts depuis plus de 70 ans. Epinglé également le Musée Toulouse Lautrec d’Albi, qui orne les reproductions du peintre d’une disgracieuse mention de copyright en plein milieu de l’image, ou la société d’exploitation de la Tour Eiffel qui interdit tout usage des photographies nocturnes de la dame de fer illuminée. Mais c’est un autre candidat qui a gagné haut la main : les sociétés de gestion collectives françaises pour avoir proposé d’apposer une taxe sur le domaine public, qui pour financer des copies de films anciens, qui pour financer les jeunes auteurs ou encore une maison de retraite des écrivains.

La catégorie « Personnages » dévoile une autre tactique utilisée par les ayant-droits pour neutraliser l’échéance du droit d’auteur. Elle consiste à déposer en tant que marque le nom et le dessin d’un personnage de livre, de film ou de BD connu, histoire de barrer la route à tous ceux qui voudraient écrire une suite à leurs aventures. Le dépôt est valable dix ans mais renouvelable à l’infini. Aux Etats Unis c’est le cas de Zorro, qui bien qu’appartenant au domaine public est revendiqué en tant que marque par une certaine Zorro Productions Inc. Edgard Rice Burroughs Inc. se sert de la marque « Tarzan » pour contrer les réutilisations du roi de la jungle. Une partie de romans de Conan Doyle est déjà dans le domaine, mais la Conan Doyle Estate oppose son dépôt de marque à quiconque prétend remettre en selle Sherlock Holmes sans payer sa dîme. Il en va de même pour Tintin ou pour le Petit Prince; la succession Saint Exupéry veille sur son trésor et a déposé des marques commerciales sur le petit héros mais aussi sur la Rose, le Renard ou encore la planète aux baobabs. C’est Tintin qui remporte le prix, à titre préventif puisqu’il n’est pas encore dans le domaine public et risque fort de ne pas y être avant longtemps.

Dans une autre catégorie baptisée WTF (What the fuck) on trouve quelques cas assez surprenants. Comme celui de la Warner qui affirme détenir les droits de « Happy birthday to you ». Peut-être composée par deux institutrices du Kentucky, peut vraisemblablement être inspirée d’un refrain populaire plus ancien, la chanson fameuse a été déposée en 1935 par Summy Company, elle-même rachetée par la Warner en 1990. Ce qui permet à la major d’exiger paiement chaque fois que le refrain est antonné dans un film ou à la télévision. Et ce jusqu’en 2030.
Nominé également, le « yoga piracy » par des centres d’enseignement qui apposent leur copyright sur certaines techniques et postures, profitant de ce que ces savoirs traditionnels indiens sont mal documentés. Le Prix est allé au Conseil Général de Dordogne qui, en 2012, a tenté de faire condamner ZK Production pour contrefaçon. Objet du supposé délit, un fac-similé de la vache noire de Lascaux réalisé sans l’accord de l’état, qui serait, selon le Conseil le détenteur des droits sur cette oeuvre qui date de… 17 000 ans.

Sur le web [Un article dans Numérama->http://www.numerama.com/magazine/32075-copyright-madness-votez-pour-les-copyfraud-awards.html] [Le palmarès->http://romainelubrique.org/copyfraud-awards]
Publié dans
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Temps de lecture : 4 minutes
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