La Poste : Quelques vérités sur le courrier et les salaires

Les orientations stratégiques du groupe La Poste reposeraient-elles sur des données erronées ou masquées ? La direction présente des chiffres catastrophistes aux parlementaires, et cultive l’opacité sur les salaires de certains dirigeants, parfois en forte hausse, au point de se faire taper sur les doigts par la Cour des comptes.

Thierry Brun  • 7 avril 2015
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La direction de La Poste a-t-elle délibérément bâti son plan stratégique en noircissant certaines données et en en masquant d’autres ? Auditionné le 25 mars par la commission des Affaires économiques du Sénat, Philippe Wahl, PDG du groupe, a présenté devant les sénateurs un tableau édifiant du groupe sur son activité de distribution du courrier. Voici ce qu’a déclaré Philippe Wahl à la commission :

« Au Danemark, par exemple, depuis 2008, les volumes du courrier ont diminué des deux-tiers, et d’un tiers en France , soit une évolution de 18 milliards de lettres et d’objets à un peu moins de 13 milliards l’année dernière pour notre pays . Notre prévision est qu’en 2020, nous ne transporterons plus que 9 milliards de ces lettres et objets par courrier » . Devant les sénateurs, le PDG de La Poste en déduit, pour marquer les esprits, que le « modèle stratégique actuel n’est plus viable » : « Un chiffre permet d’ancrer le défi stratégique, économique et social qui est le nôtre : à prix constant du timbre, nous allons d’ici 2020 perdre plus de trois milliards d’euros de chiffre d’affaires » .

Où sont les 18 milliards de lettres et d’objets ?

Les sénateurs ne trouveront les chiffres de cette sombre perspective, communiqués sans source, dans aucune expertise. D’après l’autorité de régulation des postes (Arcep), le volume des envois de correspondance en France était de 16,11 milliards en 2008, et non de 18 milliards . Il était de 12,89 milliards en 2013 (derniers chiffres disponibles). Nous sommes loin des 33 % (le tiers) annoncé par le PDG de La Poste. La baisse réelle se situe autour de 20 % entre 2008 et 2013. Entre 2005 (16,806 milliards) et 2013, la baisse est de 23,7 %. Là encore, loin des affirmations du PDG.

Illustration - La Poste : Quelques vérités sur le courrier et les salaires

Surtout, la baisse des envois de correspondance masque le volume, en hausse, d’objets distribués dans d’autres secteurs. Ainsi, de 2005 à 2013, les lettres et colis remis contre signature est passé de 276 millions à 305 millions (+ 10,51 %), les colis de 638 millions à 732 millions (+ 14,73 %), les « Express colis légers » de 280 millions à 401 millions (+ 43,21 %). Enfin, la publicité non adressée est passée de 18,570 milliards à 20,626 milliards (+ 11,07 %) , un chiffre certes en baisse ces dernières années, du fait de la conjoncture.

Gonfler la baisse pour précariser ?

Sur l’ensemble des activités postales de distribution en France (objets adressés), la baisse n’est plus que de 17,56 % entre 2005 et 2013, selon les données recueillies dans les rapports de l’Arcep et présentées dans le tableau ci-dessous, que l’on peut aussi consulter ici.

Illustration - La Poste : Quelques vérités sur le courrier et les salaires

Que cache cette réalité de la distribution postale en France ? Les postiers expliquent qu’il est nécessaire de mobiliser autant, sinon plus, de personnels qu’auparavant, malgré la mécanisation de la distribution, du fait que ceux-ci ont de nouvelles activités à intégrer à leur activité historique. Or, l’activité de distribution restant forte dans certains secteurs, les conditions de travail se sont dégradées et la précarisation est une donnée qui apparaît en creux dans la stratégie du groupe.

Philippe Wahl annonce une forte chute de l’activité postale à l’horizon 2020, ce qu’aucun statisticien ne se risquerait à prédire : le volume global de l’activité passerait de 12,89 milliards à 9 milliards en France. Avec ce genre de perspective, va-t-on vers un nouvel accident industriel ? Une erreur d’appréciation a coûté cher à La Poste il y a quelques années. Sur la base de prévisions économiques, le groupe avait lancé le plan Cap Qualité Courrier (CQC) et s’était doté de plateformes industrielles du courrier (PIC) parmi les plus modernes d’Europe. Ces prévisions n’avaient pas anticipé l’évolution à la baisse de la distribution du courrier, ce qui a entraîné la fermeture de plusieurs de ces plateformes…

Des hausses stratégiques…

La Cour des comptes a enquêté sur un autre aspect de la stratégie de La Poste, résumé par cette phrase lapidaire : « Des cadres dirigeants dont le nombre a augmenté et dont les rémunérations, parfois en forte hausse, n’ont pas, jusqu’à une période récente, reflété les résultats du groupe » . Cette analyse provient d’un rapport de la Cour des comptes sur « la rémunération des cadres dirigeants dans le groupe La Poste » , rendu public le 16 mars, dans lequel les magistrats parlent aussi de « risque d’effet d’aubaine dus à la qualité de fonctionnaire de certains cadres dirigeants » et de « lacunes à combler, notamment en matière de connaissance des rémunérations du groupe » .

La Cour des comptes a en effet contrôlé les rémunérations des cadres dirigeants de La Poste (Poste SA et ses grandes filiales, Sofipost, GeoPost, la Banque postale) pour la période 2008 à 2012. L’enquête a porté à la fois sur l’organisation et les procédures qui encadrent la rémunération des cadres dirigeants, et sur les contrôles qui s’exercent sur elles.

Selon cette enquête, le groupe n’a appliqué le plafonnement de leur rémunération globale à 450 000 euros par an qu’à cinq de ses hauts dirigeants : un pour la maison mère, deux pour la Banque postale, un pour GeoPost et un pour Sofipost. « Le plafonnement a été effectif à compter du 1er octobre 2012, sauf pour le président de La Poste, pour lequel la part variable a été plafonnée au 1er janvier 2012 » . Au passage, la Cour s’étonne que la direction du groupe n’a qu’une « connaissance lacunaire des rémunérations et, notamment, pas de vision globale des rémunérations dans les filiales, en particulier dans celles qui sont implantées à l’étranger » .

Surtout, le nombre des cadres dirigeants de La Poste SA a crû fortement, passant de 299 à 409 entre 2009 et 2012. Dans les filiales, la hausse des effectifs de cadres dirigeants a été très forte, à la Banque postale notamment, ainsi que chez Chronopost, filiale de GeoPost. « La rémunération individuelle moyenne de ces personnels a beaucoup progressé au cours de la période 2009-2012 » .

Illustration - La Poste : Quelques vérités sur le courrier et les salaires

C’est ainsi qu’à La Poste SA, 129 personnes percevaient plus de 150 000 euros en 2009. Elles étaient au nombre de 139 en 2012. La rémunération des cadres qui percevaient entre 150 000 euros et 175 000 euros a progressé en moyenne de 6 % pendant cette période. Ceux qui percevaient plus de 175 000 euros et moins de 275 000 euros ont bénéficié d’une hausse moyenne de 9,2 %, et ceux qui dépassaient 275 000 euros d’une hausse de 17,4 %.

Pour les dix plus hautes rémunérations, la hausse constatée est de 16 % ; en 2012, la rémunération moyenne annuelle de ces dix dirigeants atteignait 303 000 euros.

Selon les magistrats, l’augmentation rapide de la masse salariale des personnes rémunérées plus de 150 000 euros par an est due à deux causes.
Le première étant la hausse des effectifs, « de l’ordre de +7,8 % à La Poste SA et de +100 % à La Banque Postale » . La seconde est *« le salaire moyen de ces personnels, pour lequel le taux de croissance reste en général proche du reste de l’entreprise, +8,5 % à La Poste SA, +7,7 % à Sofipost mais s’en éloigne parfois, +12,6 % à Chronopost, +18,1 % à la Banque Postale.

De manière générale, la dynamique des rémunérations les plus élevées s’écarte de celle du reste de l’entreprise. Cette évolution résulte notamment de l’individualisation de la rémunération, qui se traduit par l’augmentation de la part variable dans le total, ainsi que d’un manque de sélectivité dans la fixation des parts variables et des augmentations »* .

Deux poids, deux mesures…

Selon la Cour des comptes,

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« L’accroissement du nombre des dirigeants et la hausse de leurs salaires moyens a correspondu à la période du changement de statut de l’entreprise. Les évolutions constatées sur cette période, tant pour la maison mère que pour les filiales, tant pour l’ensemble des cadres dirigeants que pour les mieux rémunérés d’entre eux, ne sont guère en phase avec la situation financière du groupe et le contexte économique national » . Sans commentaire…

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