« Valley of love », de Guillaume Nicloux

Christophe Kantcheff  • 23 mai 2015
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« Valley of love », de Guillaume Nicloux

[compétition]

Illustration - « Valley of love », de Guillaume Nicloux

J’aime être surpris au cinéma. A priori, je ne misais pas cher sur le dernier film français entrant en lice dans la compétition, Valley of love , de Guillaume Nicloux – un titre en anglais car l’action se déroule dans la Vallée de la mort, en Californie. Les films de Guillaume Nicloux m’avaient peu retenu jusqu’ici, son avant dernier, l’Enlèvement de Michel Houellebecq , me paraissait toutefois avoir appréhendé l’écrivain à succès avec plus de pertinence que ne l’a fait celui de Gustave Kervern et Benoît Delépine, Near Death Experience . Enfin, les retrouvailles à l’écran de deux « monstres sacrés », Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, ne me disaient rien de bon.

Surprise, donc. Valley of love m’a convaincu de bout en bout. Il y a dans ce film une solide cohérence entre les comédiens, leurs personnages, l’intrigue, les lieux où ils évoluent, qui suscite une émotion de cinéma d’une qualité supérieure.

L’intrigue : un homme et une femme, qui ont été mariés, se retrouvent dans la Vallée de la mort, conformément aux dernières volontés de leur fils, Michael. Celui-ci s’est suicidé la trentaine venue. Il a laissé à chacun une lettre pour leur expliquer notamment qu’ils doivent rester à cet endroit durant une semaine et accomplir un certain nombre de parcours dans ce territoire aride où culminent les plus fortes chaleurs mesurées sur le globe. Et au cours d’une de ces sorties, leur a-t-il écrit, il reviendra vers eux.

Un fois exposé ce pitch, il faut immédiatement écarter les fausses pistes. Valley of love ne relève pas du genre fantastique, et n’est pas non plus axé sur le fils disparu. Pour autant, le film n’évacue pas ces deux dimensions tandis qu’il s’ouvre surtout sur une thématique essentielle, qu’il décline sur plusieurs plans : la possibilité du retour et ses circonstances.

C’est d’abord le retour de deux acteurs qui n’avaient pas joué ensemble depuis Loulou , de Maurice Pialat, qui date de 1980. Par la suite, ils ont suivi chacun des chemins différents, après avoir tourné avec les plus grands. Huppert est devenue une impératrice du cinéma et du théâtre. Tandis que Depardieu tient désormais le cinéma plus à distance, accumulant les activités, se fourvoyant aussi dans ses relations géopolitiques. Dans le film de Guillaume Nicloux, ils sont tous deux grandissimes. Parce qu’ils ne jouent précisément pas aux monuments du cinéma. Au contraire, ils paraissent libres, et, de fait, s’exposent sans compter et sans cabotiner, se livrent incroyablement. Que ce soit par leur corps, mis à l’épreuve dans la chaleur infernale de la Vallée de la mort, et qui a emmagasiné 35 années depuis Loulou . Mais ils s’exposent aussi pour avoir accepté d’interpréter des personnages qui ont beaucoup de points communs avec eux-mêmes, ne serait-ce que parce qu’ils se nomment Isabelle et Gérard, et exercent le métier de comédien. Parfois l’écho avec le réel est troublant et saisissant. Quand, par exemple, à propos de la mort d’un fils, Gérard Depardieu prononce cette phrase : « il faut vivre avec ».

Autre retour : le couple divorcé se retrouve après plusieurs années sans s’être vu. Guillaume Nicloux, qui est aussi l’auteur du scénario (et également romancier par ailleurs) a tissé pour ces deux personnages un dialogue d’une justesse infinie. Les chicanes y sont vite déminées tandis que, malgré tout, malgré les années de séparation, l’amour perdure. Leur baiser esquissé atteste qu’un amour ne s’éteint jamais.

Il y a aussi beaucoup de tendresse entre eux dans l’approche divergente qu’ils font des lettres que leur a envoyées leur fils. Le père ne croit pas dans la prédiction de Michael, tandis que la mère attend ce rendez-vous avec impatience et fébrilité. Dans deux très belles scènes, Gérard lit à haute voix la lettre destinée à Isabelle, et inversement, la seconde lit celle qu’a reçue Gérard. Ces lectures, face caméra, dans le plus « simple appareil » de mise en scène, marquent profondément le spectateur.

Enfin il y a le retour du fils, c’est-à-dire d’un mort. Je disais plus haut que Valley of love n’empruntait pas au fantastique. Il préserve cependant une part énigmatique. Gérard fait en particulier une étrange rencontre nocturne : devant lui, apparaît une petite fille au physique déformé qui lui parle telle une désespérée. En outre, le film suggère l’hypothèse d’un danger : à vouloir côtoyer de trop près le secret d’un proche décédé, on risque de s’y brûler, plus profondément encore que les morsures que laisse le soleil de la Valley de la mort sur la peau.

Voilà un film, que je n’attendais pas, et qui ne déparerait pas le palmarès à mes yeux. Mais n’anticipons pas. Demain, il sera temps d’envisager un palmarès idéal et de dresser un petit bilan de cette édition 2015.

Temps de lecture : 5 minutes
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