Des perquisitions administratives qui font désordre

Christine Tréguier  • 26 novembre 2015
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La loi prorogeant l’état d’urgence a été votée au pas de charge et à une écrasante majorité, comme prévu. Les perquisitions administratives, l’un des objectifs de ce texte, vont bon train. Ordonnées par le préfet, et non plus par un magistrat, elles peuvent être opérées à toute heure et en tout lieu (à l’exception de locaux des parlementaires, avocats et journalistes) à la seule condition qu’il « existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Selon le bilan publié par le ministre de l’intérieur le mardi 24 novembre, en moins de 15 jours, 1 233 perquisitions ont déjà été effectuées (dont un bon tiers en province), donnant lieu à 165 interpellations, 142 gardes à vue, 230 armes saisies et 266 assignations à résidence. Les préfets ont expliqué qu’au delà du démantèlement des réseaux terroristes, il s’agissait de « taper large » et d’intercepter des armes mais aussi la drogue dont la vente finance ces réseaux.

Mais chaque jour la presse locale et régionale se fait l’écho de perquisitions musclées menées sans ménagement pour des résultats parfois bien insignifiants. Les excès contre lesquels les défenseurs des libertés alertaient seraient-ils en train de produire ?
Des mosquées ont été investies et fouillées sans grand respect des lieux. Plusieurs établissements de restauration rapide tenus par des musulmans ont eu droit à des descentes en présence des clients. A Pontarlier c’est le propriétaire d’un kebab qui est allé raconter sa mésaventure à l’Est Républicain. Ne pouvant ouvrir sa porte d’entrée, la police a défoncé sa porte de garage. Le butin trouvé est maigre : quelques grammes de cannabis, un pistolet et 6 000 euros d’argent liquide. « Je ne suis pas un terroriste, se défend l’homme, je suis né à Pontarlier, je tiens mon commerce depuis quinze ans [et] je distribue des tracts anti-Daesh et anti-Al Quaïda depuis bientôt trois ans ». A Bordeaux, c’est une épicerie tenue par un couple de musulmans qui a été perquisitionnée, sans grand résultat semble-t-il, et c’est apparemment une affiche indiquant des heures d’ouverture différentes pour les hommes et pour les femmes qui leur a valu d’être classés comme « à risque ». A Nice c’est une famille dont l’appartement a été
pris d’assaut en pleine nuit par une unité d’intervention. Une petite fille a été blessée par des éclats de balle avant qu’ils ne s’apercoivent qu’ils s’étaient trompé d’appartement. Nuit de cauchemar aussi pour une famille mulsulmane du Gard, tirée de son lit par une cinquantaine de gendarmes, qui les ont fait allonger par terre pour retourner la maison avant de partir en s’excusant. Bien entendu le lendemain tout le quartier est au courant, et erreur ou pas, les regards se détournent et les voisins ont tôt fait de penser que les cibles de ces perquisitions ont forcément quelque chose à se reprocher.

Il y a sans aucun doute des opérations réussies permettant à la police de trouver des planques et de précieux renseignements. Mais si les cibles sont choisies à la va vite, ou si le simple fait d’être musulman pratiquant et d’avoir un commerce suffit à faire de vous « une menace pour la sécurité et l’ordre publics », alors la recherche de renseignement peut vite être perçue comme une manoeuvre intimidatoire et le résultat d’un amalgame. Ce que, précisément, il est préférable d’éviter pour ne pas amener d’eau au moulin des fanatiques.

Soucieux d’endiguer ces échos négatifs, Bernard Cazeneuve a annoncé mercredi l’envoi d’une circulaire aux préfets rappelant que les perquisitions doivent être effectuées « dans le respect du droit ». La Quadrature du Net, elle, a pris l’initative d’ouvrir un wiki recensant récits et articles de presse évoquant de possibles abus ou dérapages liés à l’état d’urgence et fait appel aux internautes pour l’alimenter.

{{Sur le Web}} [Le wiki État urgence/Recensement de la QDN->https://wiki.laquadrature.net/%C3%89tat_urgence/Recensement]
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