Un concours des Unes à l’accent belge…

Mardi 22 mars, des milliers de collégiens et lycéens ont participé au concours des unes. Au programme, l’élaboration de la une d’un journal à partir des dépêches AFP et de visuels légendés. Retour sur une journée d’une grande intensité  marquée malheureusement  par les attentats de Bruxelles.

Jean-Riad Kechaou  • 22 mars 2016
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Un concours des Unes à l’accent belge…

Le concours des unes, c’est une date que j’attends particulièrement. En une journée, on aborde une multitude de compétences à une vitesse phénoménale. Le challenge est passionnant : à la manière des journalistes, les élèves ont environ 6 heures pour réaliser la plus belle une possible, la meilleure de la classe étant envoyée au CLEMI de l’académie (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information). Une cérémonie est ensuite organisée pour récompenser les meilleures unes de l’académie. En général, les élèves accrochent et font preuve de motivation.

© Politis
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LA PRÉPARATION EN AMONT DU CONCOURS

La veille du concours, j’avais bien sûr abordé le sujet avec eux en disséquant les unes de nombreux quotidiens sans oublier celles des hebdomadaires. Le jargon journalistique a ainsi été évoqué à l’aide d’un petit document envoyé par la documentaliste de mon collège (je ferai jeudi un zoom sur les documentalistes qui jouent un rôle crucial dans cette semaine de la presse dans l’école). Oreilles, manchettes, ventre ou encore rez-de-chaussée résonnent ainsi , je l’espère, différemment chez mes apprentis journalistes du jour.

Les unes de Libération remportent leurs suffrages évidemment alors que celles du Monde trop chargées à leurs goûts n’ont pas beaucoup de succès. Quelques-uns constatent l’importance des publicités sur les unes de nos chers journaux français ce qui me permet de leur expliquer le danger que cela peut entraîner pour cette presse de plus en plus dépendante des recettes publicitaires et donc de moins en moins libre de critiquer qui elle veut…

Je leur présente ainsi Politis et Mediapart pour leur totale indépendance du fait de l’absence de publicité chez ces médias mais aussi de leur non appartenance à un riche propriétaire. Une statistique leur est révélée (source: Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart) sept milliardaires ont entre leurs mains 95% de la production journalistique. Cette information inquiétante fait mouche dans la classe.

Les élèves découvrent également l’information satirique à travers la une du Canard Enchaîné. Cette année, j’ai surtout voulu mettre l’accent sur leur esprit critique mis à mal par les réseaux sociaux où ils ont tendance à tout gober. Du coup, les sites parodiques du Gorafi et d’el-Manchar leur ont permis de comprendre qu’il ne fallait pas prendre pour argent comptant tout ce qu’on lisait sur le net et que des petits malins s’amusaient à détourner l’actualité. Les sites conspirationnistes ont bien évidemment été évoqués.

JOUR J : LES ATTENTATS DE BRUXELLES CHAMBOULENT TOUT

En allant au collège le matin, le flash info de 9h est dramatique. Une double explosion a eu lieu à l’aéroport de Bruxelles. Comme il y a quatre ans avec les tueries de Mohamed Merah, cela chamboule évidemment notre préparation. Les dépêches AFP datant de la veille, il faut forcément prendre en compte ces macabres attentats. En arrivant, je vais donc annoncer la triste nouvelle aux collègues des deux classes qui avaient commencé le concours avant moi.

Avec ma classe, un petit déjeuner a été prévu, histoire de travailler dans la bonne humeur. Une fois la journée présentée, les groupes sont établis. Trois sur les neuf constitués souhaitent réaliser un journal parodique, un veut tenter la satire, deux autres seront rédigées en anglais (ma collègue d’anglais étant présente avec moi pour les encadrer) et les trois dernières seront plus classiques. Le casse tête commence ainsi pour les journaux parodiques, comment évoquer les attentats alors que le journal est censé détourner les faits d’actualité ? Pour les autres groupes, pas d’hésitations, les actes terroristes seront à la une (on apprendra vers 10h que le métro de Bruxelles a aussi été touché) même si je leur demande expressément d’éplucher les dépêches AFP pour introduire d’autres informations. La campagne contre le racisme lancée par le gouvernement avec le hashtag #TousUnisContreLaHaine attire leur attention, tout comme l’arrestation de Salah Abdeslam. Les affaires de Benzema qui pourraient l’empêcher de faire l’Euro 2016 sont aussi raillées et choisies par deux groupes.

La matinée passe à une vitesse folle. Nous passons de groupe en groupe avec ma collègue. Les élèves sélectionnent, hiérarchisent leurs infos et trouvent un nom de journal. Il faut aussi penser à rédiger des annonces d’article. La pause déjeuner est raccourcie à la demande de certains qui ne veulent pas perdre de temps. A 15h30, la classe doit en effet voter pour la une qui sera envoyée, un exercice démocratique qui a également son intérêt. Durant les deux heures de l’après-midi, les élèves mettent en page leurs unes ce qui n’est pas chose facile. Taille et police d’écriture, place et choix de l’iconographie, hiérarchisation des articles sur la une, tout cela est fait minutieusement. Quelques élèves décident aussi de rédiger un éditorial pour expliquer leurs choix et apporter du cachet à leur une.

LE VERDICT FINAL

Au final, trois unes sortent clairement du lot. Une première parodique, « Le Démon » (avec une police ressemblant à celle du Monde), une autre satirique, « Corotzive » (jeu de mot avec le nom du collège, Camille Corot) et une classique, « Le Mouvement » avec deux élèves qui ont fait le choix de centrer leur journal sur les attentats. Il est très beau avec son drapeau belge. Corotzive est nettement devant en terme de contenu avec un dessin de grande qualité où l’on voit Salah Abdesslam recevoir des pizzas de la part d’un livreur portant un brassard de la police. Ce serait en effet une commande de pizzas trop importante qui aurait mis les enquêteurs sur la voie. La mise en page de ce journal satirique n’a pas pu être faite à temps, du coup, la classe plébiscite le journal parodique « Le Démon » et nous confirmons ce choix avec ma collègue. Il est 15h50, la une doit être envoyée rapidement au Clémi par la documentaliste. Je me rends compte trop tardivement que mes élèves n’ont pas daté leurs journaux. Dommage, c’est un oubli de taille.

Le bilan est néanmoins très positif. Même si certains ont eu tendance à s’agiter en milieu d’après midi, les trois heures de la matinée ont été d’une grande intensité avec des élèves investis. C’est la confirmation que la pédagogie de projets (en co-intervention)  reste une manière intéressante de transmettre des savoirs même si elle est décriée par certains conservateurs pensant que l’on peut encore aujourd’hui se contenter du bon vieux cours magistral. 

Voici donc ci-dessous les trois unes de ma classe (3ème 3) ainsi que les meilleures unes des deux autres classes (3ème 1 et 3ème 2) de mon collège suivies des unes du collège Antoine Risso de Nice. Merci à leur documentaliste Mme Genoux.

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