L’homme africain est sorti des cours d’histoire

L’enseignement d’une civilisation africaine vient d’être retiré du programme d’histoire au collège après sept années qui auront permis aux professeurs et à leurs élèves d’appréhender l’histoire de l’Afrique d’une manière positive et sans cette vision européocentrée.

Jean-Riad Kechaou  • 29 juin 2016
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L’homme africain est sorti des cours d’histoire
© Illustration de Benjamin Kouadio extraite du livre "Soundiata Keita ou l'épopée mandingue" de Djibril Tamsir Niane

Alou mayé,alou mayé ! Alou mayé, alou mayé ! Alou Mayé, alou mayé !
Fakoly ni Soumdjata bé Souman Gourou gnê na !
Dô ya kô ka ka lé djamana mina,
Dô ya kô ka ka lé muso mina ra,
Dô ya kô ka ka lé djamana mina.
Soumahoro bori la, Soumahoro bori la, Soumahoro ka ti bori la ! *

La classe de cinquième chante le refrain de cette chanson de Tiken Jah Fakoly à la gloire du grand empereur malien Soundiata Keita. Les regards souriants des élèves se croisent avec malice. Chanter ainsi dans un cours d’histoire, qui plus est dans une langue africaine, n’est pas une chose courante mais cela semble leur plaire. La découverte de la civilisation malienne fut pour eux un réel plaisir, pour moi encore plus. Je ne la connaissais pas avant de l’enseigner. J’avais pourtant suivi un cours d’histoire de l’Afrique à l’université mais celui-ci, dispensé par le sulfureux Bernard Lugan ne racontait que les luttes coloniales entre puissances européennes et la décolonisation du continent africain.

Ce chapitre, intitulé « Regards sur l’Afrique », datait des programmes mis en place à partir de septembre 2008. Il nous demandait de faire découvrir une civilisation africaine au choix et ce fut une initiative salutaire. Pour la première fois, on ne traitait pas de l’Afrique subsaharienne avec une vison européocentrée (découverte du continent, esclavage, traite atlantique, colonisation puis décolonisation, géographie de l’Afrique avec la mondialisation subie et tous les problèmes de développement) mais l’histoire de l’Afrique pour elle-même, ses légendes, son mode de vie, son artisanat et ses échanges avec les autres civilisations.

© Politis

Carte de l’empire malien, manuel d’histoire géographie Belin (niveau 5ème)

Traduction des paroles d'Alou Mayé Ne voyez-vous pas ! Fakoly et Soundjata pourchassant Soumahoro ? L'un parce qu'il a annexé son pays, l'autre parce qu'il lui a ravi sa préférée... Certain racontent que Soumahoro est parti dans la montagne, d'autres qu'il a disparu dans le fleuve, Soumahoro s'est enfuit ! Alou mayé, Tiken JahFakoly, Coup de gueule, Universal Music, 2004
J’ai opté pour la civilisation malienne dont un bon nombre d’élèves est originaire (Mali, Guinée, Sénégal, Niger, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Burkina Faso). Pour ce faire, il faut bien sûr accorder du crédit à des faits rapportés oralement. Sinon, exit l’histoire africaine qui n’a recouru à l’écriture que tardivement. Pas de livres donc mais des griots, véritables hommes ou femmes bibliothèques, qui ont transmis aux Africains leurs origines, leurs cultures, leurs valeurs et leur lois. Ils constituent la clef de voûte des sociétés africaines, on les nomme ainsi Djeli (le sang) au Mali. C’est cette tradition que Tiken Jah Fakolly a voulu perpétuer en faisant ce duo avec la griotte malienne Saramba Kouyate dans sa chanson « Alou Mayé » sur un air de Kora, sorte de harpe accompagnant les griots. Ces personnages, attachés aux princes ou aux hauts dignitaires du régime, mémorisaient et transmettaient l’histoire en chantant les louanges et les hauts faits des familles princières, auxquelles ils servent aussi de porte-parole et de précepteurs. Ils ont perdu de leur prestige depuis un siècle mais la tradition perdure. Évidemment, les faits sont agrémentés de légendes qui ont également leurs intérêts anthropologiques.

Issu de l’ethnie des malinké (mandingue), le chanteur ivoirien célèbre donc dans cette chanson la victoire de Soundjata sur Soumahoro lors de le bataille de Kirina en 1235. L’ancêtre du chanteur, Fakolly Doumbia, était le chef de guerre de Soundjata. C’est cette victoire qui permis à Soundjata Keïta de réunir ensuite tous les royaumes pour constituer l’Empire du Mali. Proclamé « Mansa » ce qui signifie « Roi des rois », il établit la capitale à Niani, sa ville natale, aujourd’hui un petit village en Guinée à proximité de la frontière malienne. Le premier Mansa fut un grand administrateur développant le commerce, l’exploitation de l’or et des cultures nouvelles (introduction du cotonnier). Outre ses exploits guerriers, il est connu pour sa tolérance qui permit la coexistence pacifique de l’Islam et de l’animisme dans son Empire.

Le Mansa serait surtout à l’origine de la charte du Mandingue (1236) abolissant l’esclavage très pratiqué dans cette région. Une charte dans laquelle il est écrit que les hommes naissent libres et égaux. Le chercheur du CNRS formé à la Sorbonne, Youssouf Tata Cissé, ethnologue et historien malien était le grand spécialiste de ce texte révolutionnaire qui a 453 ans d’avance sur les Bill Of Rights anglais et 553 ans sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en France. On peut ainsi lire ses travaux dans son ouvrage « Soundjata, la Gloire du Mali », paru en 1991. Grâce à son travail, la charte est aujourd’hui classée au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO. À la mort de Soundjata Keita, en 1255, l’empire du Mali s’étend de l’Atlantique au Moyen Niger et de la forêt au désert. Il va rayonner pendant plus d’un siècle notamment avec le dixième mansa, Kanga Moussa disposant d’une fortune colossale et à l’origine de la très belle mosquée Djingareyber à Tombouctou classée également au patrimoine mondial de l’humanité.

Ce chapitre fut certainement l’un des plus appréciés de l’année par mes élèves. Il m’a permis d’évoquer de nombreux points intéressants. L’art africain qui a influencé de nombreux artistes européens à l’instar de Pablo Picasso. L’étude de l’animisme aussi, une autre forme de croyance et notamment du mythe de Ouagdoubida. Les relations économiques et culturelles entre le monde arabo-musulman et l’empire malien avec, entre autres, l’esclavage et la traite transsaharienne qui expliquent la présence de populations noires dans les pays d’Afrique du nord.

Enfin, même si la transmission orale de l’histoire est critiquée par de nombreux historiens européens notamment l’authenticité de la charte du Mandingue, cette étude correspondait parfaitement à l’une des missions de l’éducation nationale : l’ouverture culturelle mais aussi la valorisation des cultures d’où sont originaires nos élèves. Deux d’entre eux m’ont ainsi donné leur point de vue à la fin du chapitre. Maé, tout d’abord, explique que cela a évincé chez elle certains préjugés : « Moi au début, je pensais que l’Afrique était pauvre, que la terre était sèche, qu’il n’y avait pas d’argent et rien à manger. Mais en vérité, il y avait une brillante civilisation. L’homme le plus riche de l’histoire est un Africain : Kanga Moussa. Il a dirigé l’empire du Mali de 1312 à 1337. Il avait des mines d’or. J’ai ainsi réalisé que l’Afrique n’était pas si pauvre »

Salifou, un élève d’origine malienne m’a aussi écrit un petit bilan où l’on ressent sa fierté : « Ce chapitre m’a fait découvrir la richesse de l’Afrique. On a étudié des histoires légendaires mais aussi des faits historiques. Le Mali n’était pas pauvre avant, détrompez-vous, il y avait l’empereur le plus riche de l’histoire. Ce chapitre m’a plu car il parlait en partie de mon pays, le Mali. »

L’année dernière, en découvrant les programmes du collège 2016, je fus abasourdi en réalisant que ce thème était supprimé. L’homme africain qui sort de nos cours d’histoire, de nos manuels, quelle tristesse !

« Le drame de l’Afrique est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Cette phrase de Nicolas Sarkozy dans son discours prononcé à l’université de Dakar le 26 juillet 2007 avait fait polémique. Écrite par Henri Guaino, elle illustrait très bien la vision occidentale de l’Afrique noire. Paradoxalement, c’est sous sa présidence que cette étude d’une civilisation africaine fut introduite. En faisant donc ce choix d’évincer cet enseignement on peut ainsi se demander si l’éducation nationale n’a pas renoncé à combattre cette vision qui alimente préjugés et racisme.

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