Les luttes LGBT sous les projecteurs

Pour la première fois, le Forum social mondial (FSM) a tenu à Montréal une conférence sur les questions de genre et de diversité sexuelle. Entre avancées et résistances homophobes tenaces, à travers le monde.

Patrick Piro  • 13 août 2016
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Les luttes LGBT sous les projecteurs
photos Patrick Piro. Jeudi 11 août, conférence sur la cause LGBT dans la complexe commercial Desjardins de Montréal, lors du FSM ; ouverture de la conférence par le mouvement LGBT des Sœurs de la perpétuelle indulgence ; en bas : Maurice Tomlinson (gauche) et Kamoga Hassan.

Complexe Desjardins, jeudi 11 août. À l’aplomb de cet ensemble de tours d’affaires du cœur de Montréal, sur l’une des vastes places de son énorme ville souterraine truffées de commerces et de services, une tribune est ostensiblement dressée. Dans cette agora sonore que contournent les chalands le long des galeries, quelque 250 personnes écoutent raconter comment des militants homosexuels se battent dans leur pays contre des lois anti-sodomie. « Au-delà de la haine, acquis et luttes à venir de la communauté LGBT : c’est la première fois que s’organise une telle conférence au sein du forum social mondial. Nous faisons l’histoire ! », se réjouit un organisateur. Pendant la rencontre altermondialiste (9-14 août), plusieurs d’ateliers se sont penchés sur les causes lesbienne, gay, bi et transsexuelle (LGBT), mais aussi queer (1), intersexuelle (2), aromantique et asexuelle (3).

© Politis

Un tiers des pays du monde criminalisent encore les orientations non hétérosexuelles, rappelle la cinéaste canadienne engagée Karin Hazé. Grâce à une collecte participative, elle a réussi à obtenir la présence à Montréal d’une cinéaste ougandais Kamoga Hassan, activiste fondateur de l’étonnant Queer Kampala international film festival (QKIFF) en dépit des embûches administratives dans un pays qui réprime l’homosexualité en raison d’une loi coloniale des années 1950 toujours en vigueur. « Nous avons organisé une rencontre gay, la police vérifiait le sexe des participants, une terrible expérience… », raconte le jeune homme.

En Tunisie, le test anal est pratiqué par la police, pratique pourtant assimilée à de la torture, afin de « révéler » des pratiques homosexuelles, explique avec une réserve qui cache une vie de lutte et d’humiliations Rami Ayari, président du groupe de soutien « Sans restriction ». L’article 230 du code pénal, qui peut conduire un gay à trois ans de prison et à l’interdiction de travailler, est toujours en vigueur en dépit du Printemps arabe de 2011, même si la situation s’est un peu améliorée depuis. En 2015, des militants parviennent à créer Shams première association de lutte contre l’homophobie ayant pignon sur rue, et à tenir un événement public le 17 mai dernier, journée mondiale de lutte contre l’homophobie. « Pour une fois, la police nous protégeait contre les agressions des gens au lieu de nous disperser », relate Rami Ayari.

Car la violence reste quotidienne. Insultes, menaces, prises à parti… « Un sondage montre que les deux tiers des jeunes font confiance à leur imam… qui sont tous homophobes. » Il ne parlera pas à la tribune de l’absence de son compatriote Ahmed Ben Amor, vice-président de Shams et annoncé pour cette conférence : il a tenté de se suicider mi-juillet à la suite du déferlement de haine et de menaces de morts proférées à son endroit suite à son apparition dans un débat télévisé sur l’homosexualité.

Jamaïque, l’un des pays les plus ouvertement anti-gay de la planète. En 2011, le taux d’intolérance atteignait 91 %, et un tiers des homosexuels masculins étaient infectés par le VIH ! L’avocat jamaïcain Maurice Tomlinson est aujourd’hui réfugié au Canada. Sa vie était menacée dans son pays en raison de son engagement pour faire abolir une loi « anti-sodomie » découlant d’un statut établi en 1864 par l’occupant britannique, et qui peut théoriquement conduire à dix ans de travaux forcés. Il est personnellement « à vie » fiché comme délinquant sexuel.

C’est une homophobie clairement coloniale, portée par des Églises soutenues aux États-Unis et par de très nombreuses chansons anti-gay,

défend l’avocat. La situation s’améliore un peu, là aussi, mais lentement, avec le soutien de quelques personnalités internationales mais aussi jamaïcaines.

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Une personne suggère un boycott du tourisme dans les pays aux lois homophobes, dans le public. « Nous sommes contre, la crise économique frappe déjà très durement la Tunisie », réplique Rami Ayari. « La plupart des personnes LGBT travaillent dans le tourisme, chez nous, ajoute Maurice Tomlinson. Un boycott aggraverait potentiellement leur situation. » Et puis l’avocat, qui se départ rarement d’un sourire, livre une « victoire majeure » : l’avant-veille, après sept ans d’effort des militants des droits humains, la Cour suprême du Belize a abrogé l’article du code pénal criminalisant la sodomie. « On peut en espérer des conséquences positives pour la Caraïbe », prévoit l’avocat.

(1) personnes rejetant l’étiquetage d’un genre ou d’une orientation sexuelle particulière.

(2) personne au système génital présentant une ambiguïté ne permettent pas de les définir physiologiquement comme « mâle » ou « femelle ».

(3) personne ne ressentant pas d’attirance romantique ou sexuelle.

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