La circulation alternée butte sur les égoïsmes : « Mais je vais être obligé de prendre le métro ! »

Voyage au cœur de la mauvaise foi des automobilistes…en attendant la vignette indiquant le degré de pollution d’un véhicule

Claude-Marie Vadrot  • 6 décembre 2016
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La circulation alternée butte sur les égoïsmes : « Mais je vais être obligé de prendre le métro ! »
Photo : MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY

Cette phrase horrifiée entendue dans une radio laisse rêveur et atterré. Elle a été proférée mardi par un jeune automobiliste prié par la police d’abandonner sa voiture à une porte sud de Paris parce que son véhicule n’arborait pas une plaque d’immatriculation lui permettant de circuler. En cause : la pollution aux particules et aux oxydes d’azote régnant dans la capitale et dans les 22 communes qui l’entourent. Un autre conducteur en infraction grommelait dans le micro : « Ils ne savent plus quoi faire pour nous emmerder »…

Surpris et pensant que ma consœur avait choisi les remarques les plus stupides ou les plus mensongères, je suis allé me poster une trentaine de minutes du côté de la porte de Bagnolet, dans l’Est parisien. Pour prêter l’oreille aux commentaires des automobilistes interpellés par les policiers parce que leur véhicule portait un numéro impair. Cela n’a pas valeur ni de sondage, ni de statistique incontestable. Juste quelques minutes dans la vie d’un écologiste atterré par la mauvaise foi des conducteurs. Sans oublier ceux, ce mardi comme le lendemain, qui accéléraient en espérant impressionner le bien frêle barrage policier…

Au volant d’une Twingo, une femme d’une quarantaine d’années explique sans rire qu’elle a un gros déménagement urgent « et que les alertes à la pollution ne sont qu’un moyen de plus d’emmerder les conducteurs » et en profite pour évoquer le « scandale » de la fermeture des voies sur berges « qui provoque bien plus de pollution dans un quartier plutôt épargné par les gaz d’échappement ».

Un homme d’une cinquantaine d’années, au volant d’une Mercedes immatriculée dans le 95, assure qu’il n’était pas au courant, qu’il ne lit jamais les journaux. Affirmation la plus courante. Y compris ceux qui sortent du périphérique où l’annonce clignote sur tous les panneaux.

Un homme d’une soixantaine d’années explique être plombier et se rendre dans le 10° arrondissement pour une intervention urgente. Il paraît si peu convainquant, qu’il est prié d’ouvrir son coffre pour montrer son équipement. Rien. Alors, il se met en colère et est verbalisé pour le mensonge qui fait rire l’un des trois policiers qui le contraignent à faire demi-tour.

Une jeune femme d’une trentaine d’années se justifie en assurant qu’une voiture de plus ou de moins ne changera pas le niveau de la pollution (grand classique). Une autre, du même âge, immatriculée dans le 93, raconte qu’elle connaît trop mal le réseau du métro pour l’emprunter et se rendre à un rendez-vous sur les Champs-Élysées. (Souvent entendu).

Un quinquagénaire venant lui aussi du 93, explique aux deux policiers qui lui demandent de faire demi-tour ou de se garer que « les alertes pollution sont inventées par la maire de Paris pour embêter les automobilistes auxquels elle fait la chasse depuis des années. Et le métro, il est toujours en panne ». À celui-là, mais à celui-là seulement, j’ai demandé s’il le prenait souvent : « non, comme je viens de le dire aux flics, il est toujours en panne ».

Un trentenaire aux allures de jeune cadre, au volant d’une Espace, choisit d’engueuler les policiers, pourtant aimables et conciliants, en ajoutant que la mesure de circulation alternée est une honte dans une capitale placée sous l’état d’urgence. Mauvaise pioche : il n’échappera pas à une contravention de 35 euros parce qu’il refuse de payer immédiatement les 22 euros de l’amende minorée et à l’obligation de se garer sous la surveillance d’un policier.

Pour décider de faire respecter ou non l’interdiction, d’ordonner le demi-tour ou d’imposer l’amende (en moyenne une fois sur deux) aux récalcitrants, les policiers n’ont qu’une seule solution : leur faculté d’appréciation du degré de sincérité de ceux qu’ils interpellent ou la courtoisie caractérisant ou non leurs réponses. Les contrevenants évoquant la pollution sont largement minoritaires et ceux qui assurent qu’ils ne sont pas au courant largement majoritaires.

Conclusion ? Il n’y en a pas vraiment. Disons que la conscience écologique des automobilistes priés une ou deux fois par an de se passer de leur voiture et à emprunter les transports en commun n’est pas encore au beau fixe. Mais, il y a aussi tous ceux qui ont renoncé volontairement à leur véhicules sans chercher à braver les interdictions.

Avec une nouvelle chance mercredi, jeudi et vendredi pour les conducteurs qui se sont sentis comme des « privilégiés » la veille. Comme si rouler dans Paris polluée était une chance et non pas la conséquence de l’addition des égoïsmes favorisés par l’attentisme de pouvoirs politiques.

PS

Mais à partir du 16 janvier, les automobilistes devront enjoliver leurs histoires et la tache des policiers sera simplifiée puisque chaque voiture et chaque deux roues à moteur devront arborer une vignette correspondant à leur degré de pollution. Vignette qui conditionnera, du vert au bleu sombre, leur droit à circuler.

(à demander sur www.certificat-air.gouv.fr , délivré pour 4,18 euros)

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