Le FMI met le feu aux poudres

L’organisation internationale poursuit son travail de gendarme économique, quel qu’en soit le prix à payer par les populations concernées, afin qu’aucun de ses 189 États membres ne s’écarte du chemin néolibéral qui leur est tracé.

Jérôme Duval  • 16 octobre 2019
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Le FMI met le feu aux poudres
crédit photo : MARTIN BERNETTI / AFP

Les « révoltes FMI », conséquences de mesures antisociales imposées par l’institution basée à Washington en contrepartie de prêts à rembourser avec intérêts, n’ont pas disparu. L’organisation internationale poursuit son travail de gendarme économique, quel qu’en soit le prix à payer par les populations concernées, afin qu’aucun de ses 189 États membres ne s’écarte du chemin néolibéral qui leur est tracé.

L’Équateur et l’Argentine où ont émergé les slogans « que se vayan todos », (qu’ils s’en aillent tous) à l’égard de la classe politique sur fond d’accords avec le FMI, en illustrent l’actualité.

Insurrection contre le FMI en Équateur

L’Équateur vit un puissant soulèvement insurrectionnel. Depuis le 3 octobre, la colère se déchaîne dans les rues du pays en réponse à l’annonce d’un ensemble de mesures économiques antisociales concocté en échange d’un prêt de 4,2 milliards de dollars du FMI. Une grève générale des transports est convoquée le 3 octobre, pour contester les mesures économiques du gouvernement de Lenín Moreno, élu en 2017 comme successeur de Rafael Correa.

Il s’agit notamment du Décret 883, qui comprend la suppression des subventions aux carburants d’un montant total de 1,3 milliard de dollars, en vigueur dans le pays depuis 40 ans. Cette mesure impopulaire fait automatiquement multiplier par deux les prix à la pompe (123 % d’augmentation du prix de l’essence) et entraîne également l’augmentation du prix des aliments par leur transport depuis les zones de production. Elle est un élément clé d’un ensemble de réformes économiques appelé « el Paquetazo » néolibéral.

Celui-ci comprend également des facilités fiscales octroyées aux entreprises exportatrices et une réforme du travail réduisant les congés payés des fonctionnaires de 30 à 15 jours. Le président Moreno qui a choisi de rétablir des liens avec le FMI, rompus par Correa en 2006, doit maintenant en apprécier l’ampleur des implications. En réponse au soulèvement insurrectionnel des mouvements populaires, indigènes et étudiants, qui a lieu dans tout le pays, Moreno décrète l’état d’urgence (« estado de excepción ») le 3 octobre.

De son côté, le puissant mouvement indigène équatorien Conaie (Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur) décrète son propre état d’urgence le 5 octobre, et menace de détenir des agents de police ou de l’armée qui s’aventureraient en territoire indigène : « Les militaires et les policiers qui s’approcheront de nos territoires seront interpellés et soumis à la justice autochtone », déclare l’organisation. Dans le même temps, alors qu’elle met sa menace à exécution et détiendrait une cinquantaine de policiers, la Conaie poursuit son avancée vers Quito la capitale qu’elle prend d’assaut le 8 octobre, certains manifestants parvenant même à pénétrer brièvement dans l’Assemblée nationale en scandant « nous sommes le peuple ».

On parle alors de plus de 40 000 représentants des peuples originaires mobilisés dans la capitale. Moreno, quant à lui, fuit Quito et délocalise les affaires gouvernementales dans la ville côtière de Guayaquil, qu’il a transformée en nouvelle capitale du pays. Le vendredi 11 octobre, plusieurs centaines d’indigènes d’Amazonie, le visage peint en signe de combat et munis de lances, viennent gonfler les rangs de la contestation à Quito, devenue ville assiégée avec de nombreuses routes coupées et commerces fermés, les puits pétroliers d’Amazonie sont à l’arrêt. Finalement, après 11 jours de révoltes, le président Lenin Moreno fait marche arrière le 14 octobre et accepte de retirer le décret du FMI supprimant les subventions au carburant, rétablissant ainsi les prix à leur valeur initiale.

Selon le bureau du Défenseur du peuple, organisme public de défense des droits, on dénombre huit morts, dont le dirigeant indigène de la Conaie Inocencio Tucumbi, 1 340 blessés et 1 192 arrestations depuis le 3 octobre. Malgré ce lourd tribut, on peut parler d’une victoire historique du peuple et du puissant mouvement indigène équatorien qui était déjà parvenu à mobiliser massivement et provoquer la chute de 3 présidents : Abdala Bucaram (1997), Jamil Mahuad (2000) et Lucio Gutiérrez (2005). C’est aussi un camouflet pour le FMI qui, le 2 octobre, s’était empressé de saluer la réforme sitôt annoncée : « Les réformes annoncées hier par le Président Lénine Moreno visent à améliorer la résilience et la viabilité de l’économie équatorienne et à favoriser une croissance forte et inclusive ».

Fidèle à la doctrine néolibérale de l’institution, l’économiste en chef du FMI, Gita Gopinath, appuie le gouvernement Moreno malgré sa défaite historique, pour défendre l’accord signé en février avec l’Équateur… et les mesures impopulaires qui lui sont liées. En conférence de presse à Washington le 15 octobre, elle avoue : « Nous soutenons les autorités. Nous traversons une période difficile et nous voudrions que des réformes soient menées à bien et qu’elles soient couronnées de succès. ». Car en effet, même s’il est incité à assouplir ses conditions, le FMI compte bien renégocier le calendrier des réformes dont dépend le déboursement des fonds promis.

L’Argentine succombe aux exigences du FMI

Dix-sept ans après la crise de 2001 en Argentine, le gouvernement Mauricio Macri, arrivé au gouvernement en décembre 2015, précipite le pays dans les mêmes affres dont le Fonds monétaire international détient la recette : Macri met en place un féroce plan d’austérité envers sa population en contrepartie du plus gros prêt de l’histoire du FMI : 57,1 milliards de dollars sur trois ans. Mais dans un pays où 11 millions de personnes sont considérées pauvres selon l’Institut national de statistique INDEC, les mesures qui accompagnent ce prêt, accroissent la pauvreté et la malnutrition dans un contexte d’inflation galopante qui frôle les 60 %. Les soupes populaires se multiplient, le Parlement argentin a voté à l’unanimité « l’urgence alimentaire » le 18 septembre et le gouvernement de Mauricio Macri se voit forcé d’augmenter son budget destiné aux aides alimentaires pour les cantines scolaires.

Un mois plus tôt, plusieurs milliers de manifestants avaient campé dans le centre de Buenos Aires pour exiger l’instauration d’un état d’urgence alimentaire. Pendant ce temps, les capitaux fuient massivement le pays à raison de plus de 20 milliards de dollars depuis le début de l’année. Même si le président Macri, dans un geste désespéré, a pris quelques mesures sociales en août pour calmer les esprits, tous les ingrédients sont là pour une nouvelle révolte FMI que connaît bien le pays.

Mais l’attention est ailleurs : l’Argentine se trouve en pleine campagne électorale avec les présidentielles prévues pour le 27 octobre. Le vainqueur des élections, qui selon toutes vraisemblance devrait être le candidat Alberto Fernández sous l’étiquette Frente de Todos – avec Cristina Fernández de Kirchner comme colistière à la vice-présidence – devra affronter des remboursements de 223 milliards de dollars au cours de son mandat, un cadeau empoisonné du FMI… Faisant honneur à sa réputation de fer de lance du mouvement féministe, l’Argentine a marqué l’agenda d’un nouveau succès de mobilisation. Bravant une pluie diluvienne, plus de 200 000 femmes se sont retrouvées le 13 octobre dans les rues de La Plata, à soixante kilomètres de Buenos Aires pour les 34e Rencontres nationales de femmes (Encuentro Nacional de Mujeres).

Elles ont adressé leurs principales revendications – le droit à l’avortement, la lutte contre la violence de genre, l’éducation sexuelle à l’école et les droits des minorités – au gouvernement sortant de Mauricio Macri mais également au grand vainqueur des primaires d’août, Alberto Fernandez. Macri et sa politique néolibérale pro-FMI ont mené le pays à la déroute, voire à une crise humanitaire emprunte de famine, c’est une évidence, mais une question demeure : son successeur pourra-t-il mener ses propres politiques sans être limité par les remboursements colossaux qu’il est censé servir au FMI ou bien devra-t-il rompre avec l’institution contrôlée par Washington pour s’émanciper de sa tutelle encombrante ?

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