Injuste temps partiel

Jean Gadrey  • 24 janvier 2007 abonné·es

Le temps partiel est, avec la précarité de l’emploi, à laquelle il est souvent associé dans les « petits boulots », la principale explication de la « pauvreté salariale » en expansion. C’est un facteur majeur de creusement des inégalités de revenus et de discrimination économique envers les femmes. Sa part dans l’emploi total est passée de 8 % à 17 % entre 1975 et 2005. Il concerne aujourd’hui plus de 4 millions de travailleurs. Mais sa répartition est très inégale selon le sexe et la qualification.

On l’a oublié : avant la loi de janvier 1981, votée en urgence à la fin du septennat de Giscard, un employeur n’avait pas le droit ­ sauf dispositions conventionnelles exceptionnelles ­ de proposer des contrats à temps partiel ! Les salariés dans ce cas, peu nombreux, étaient en réalité pour la plupart « à temps réduit » sur des postes à temps plein, et l’accord des représentants du personnel était exigé (loi de 1973). La loi de 1981 a créé le « temps partiel à l’initiative de l’employeur ».

Depuis cette victoire patronale, non remise en cause par la gauche revenue au pouvoir en mai 1981, la proportion d’emplois à temps partiel est passée de 17 % à 31 % pour les femmes, et de 2,3 % à 5,7 % pour les hommes. Et c’est le « mauvais temps partiel » qui s’est le plus développé : celui dit « subi », qui concerne essentiellement les femmes. Ces dernières représentent 82 % des salariés à temps partiel. Avec une conséquence directe sur leurs rémunérations. Il y a près de 80 % de femmes parmi les salariés dont les rémunérations sont très basses (c’est-à-dire inférieures à la moitié de la médiane, qui est le niveau de salaires partageant l’ensemble des salaires en deux parties égales).

Si l’on avait un doute sur les préjugés qui influent sur cette situation, les propos, rapportés par Martin Hirsch (président d’Emmaüs), du président de la puissante Fédération du commerce et de la distribution, devraient les lever. Interrogé sur la difficile situation matérielle des caissières subissant le temps partiel, il eut cette réponse : « Avant, elles étaient mariées, le demi-salaire minimum qu’on leur donnait correspondait à un revenu d’appoint satisfaisant dans le ménage. Est-ce la faute des entreprises si maintenant beaucoup d’entre elles ont divorcé ? »

Il faut mettre fin à ce temps partiel contraint, morcelé, qui empêche les gens de vivre décemment. En 2005, 970 000 femmes et 260 000 hommes étaient à « temps partiel, souhaitant travailler davantage ». Et ces effectifs ont bondi ces dernières années (+ 10 % en deux ans). Encore faut-il ajouter que, dans ces chiffres, on ne compte pas ceux et surtout celles qui, dans l’état actuel des choses (insuffisance de solutions pour les enfants ou pour les parents âgés, inégalités subies au sein du couple, au sein de l’entreprise, état des offres d’emploi, etc.), se contentent faute de mieux de leur temps partiel, ne déclarent pas vouloir ou pouvoir travailler davantage, ne font donc pas partie des chiffres du temps partiel subi, mais connaissent en réalité des contraintes fortes limitant leurs possibilités de choix.

On peut faire reculer ces pratiques par des pénalisations et par des obligations.

L’une des recommandations de la présidente (UMP) de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale consiste à préconiser la réintégration systématique dans un emploi à temps complet après une période « maximum (à déterminer) » de travail à temps partiel, pour les salariés qui le souhaitent. Une telle mesure irait dans le bon sens, mais il faudrait aller bien plus loin en légiférant pour encadrer strictement la possibilité de créer des contrats à temps partiel, à défaut d’en revenir à la situation d’avant 1981.

La période actuelle est celle d’une dualisation des temps de travail. Pendant que certains n’en ont pas assez pour vivre, ou n’en ont pas du tout, d’autres, souvent eux aussi sous la pression des employeurs, en ont trop. Il n’est pas acceptable, dans un contexte de pénurie d’emplois à temps plein et d’expansion du temps partiel contraint, qu’il y ait encore aujourd’hui en France environ 10 % de salariés travaillant plus de 48 heures par semaine.

À l’opposé du discours de Nicolas Sarkozy sur la « liberté du temps de travail », dont l’histoire montre qu’il s’agit d’une liberté accrue des employeurs de fixer leurs conditions, nous aurions besoin de droits (« opposables ») à un emploi et à des horaires décents.

Il faut que le travail soit payant, dit-on à droite, mais aussi un peu à gauche, en général pour diminuer les allocations de chômage et pour réduire encore la progressivité des impôts. Mais la meilleure façon de rendre le travail payant serait de faire en sorte qu’il n’y ait plus de salaires de misère.

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