Une question de conscience

Un rapport parlementaire rouvre le débat sur le clonage thérapeutique – qui soulève des objections éthiques – et pose des questions relatives
à la commercialisation du vivant.

Ingrid Merckx  • 24 janvier 2007 abonné·es

Clonage. Le mot fait peur, avec tout son cortège de raéliens, de brebis vieillies prématurément et de savants fous… Même quand il s’agit de clonage thérapeutique, pourtant distinct du clonage reproductif, qui vise à reproduire un être vivant à l’identique. C’est la raison pour laquelle, dans son rapport sur le « fonctionnement des cellules humaines » (1), remis à l’Assemblée le 5 décembre 2006, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a préféré l’expression « transposition nucléaire » à celle de « clonage thérapeutique » . Qui était « trompeuse » , selon Alain Claeys, député (PS) de la Vienne et rapporteur de ce texte : « Pour ses adversaires, l’accent est mis sur le mot « clonage », et cette technique est assimilée au clonage reproductif humain, qu’aucune personne sensée ne défend. Pour ses partisans, l’accent est mis sur « thérapeutique » et est de nature à faire croire que nous sommes à la veille d’utiliser cette technique pour soigner. » Ce qui est loin d’être le cas.

Centré sur la question des cellules souches adultes et embryonnaires, ce rapport provoque des remous. Pour préparer la révision de la loi de bioéthique prévue au plus tard en 2009, il invite en effet à « se saisir à nouveau de la question de la recherche sur l’embryon et décider si la transposition nucléaire peut être autorisée en France ». Parmi une vingtaine de propositions, il recommande la légalisation de la recherche sur l’embryon, interdite (sauf dérogation) par la loi de bioéthique de 2004, et qui reste très controversée. Le clonage thérapeutique ne soulève pas que les objections de l’Église, mais aussi celles de biologistes soucieux d’éthique. Sans se lancer dans la polémique, ce rapport entend « redonner des perspectives claires à la recherche » dans un domaine où « les incertitudes et les ignorances dominent » . Parce qu’il s’inscrit dans le prolongement d’un précédent rapport sur les « cellules souches et choix éthique », remis par Pierre-Louis Fagniez (UMP) en juillet 2006, il rouvre un débat qui, à l’heure où la recherche sur les cellules souches se développe partout dans le monde, prend l’ampleur d’une véritable question de société.

« Le clonage thérapeutique est un procédé qui soulève deux objections sur le plan éthique , explique Patrick Verspieren, directeur du département d’éthique biomédicale des facultés jésuites de Paris. Tout d’abord, il implique la création d’un embryon devant servir de réserve de cellules. L’embryon se trouve chosifié, ce qui est contraire au respect de la dignité humaine. Ensuite, la mise au point de ce procédé ouvrirait la porte à la pratique du clonage reproductif. » Les autorités catholiques s’insurgent. Elles ne sont pas les seules puisque le Sénat a également pris position dans ce sens lors du passage en deuxième lecture de la loi de bioéthique de 2004. « On ne sait pas, poursuit Patrick Verspieren, si les recherches sur les cellules souches embryonnaires ou adultes ouvrent véritablement des voies thérapeutiques. Les recherches sur l’animal ne sont, pour l’heure, pas concluantes. En ce qui concerne l’être humain, pourquoi ne pas poursuivre celles qui ne posent pas de problèmes éthiques ? Comme les recherches sur les cellules souches adultes ou celles qui sont contenues dans le cordon ombilical ou le liquide amniotique. »

Pour Alain Claeys, la recherche sur les cellules souches embryonnaires est essentielle, ne serait-ce que pour vérifier si elle peut vraiment aider à développer la thérapie cellulaire. « En l’état, la loi est malhonnête : les recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires sont interdites sauf si elles ont une finalité thérapeutique. Mais comment le savoir sans procéder aux recherches ? » , interroge-t-il. La légalisation de la « transposition nucléaire » n’est pourtant pas le message essentiel du rapport, précise le député. L’idée, c’était de donner une « photo » de l’état des recherches dans le monde sur les thérapies cellulaires, et de faire le point sur les thérapies géniques. Pas un luxe quand on sait qu’il n’existe ni en Europe ni au niveau international d’outils législatifs contraignants en la matière. D’autre part, le rapport cherche à prévenir « la marchandisation du vivant » , dont le trafic d’ovocytes serait un volet alarmant. « C’est là le véritable enjeu de société » , insiste Alain Claeys, qui s’inquiète davantage des dérives commerciales engendrées par la question des brevets que du débat autour du statut de l’embryon. « Le brevet ne doit servir qu’à protéger une invention ou une application. On ne peut pas breveter une partie du corps humain, comme ce fut le cas pour les gènes, prévient-t-il. On demande au législateur de faciliter le progrès tout en l’encadrant, c’est-à-dire en sécurisant la recherche et en s’assurant qu’elle est mise au service d’un bien public protégé. » Soutenant l’Agence de la biomédecine, chargée de l’arbitrage, Alain Claeys défend l’intensification de la recherche fondamentale et réclame une augmentation des financements publics afin « de se préserver du développement des brevets sur la connaissance » .

« Cela fait longtemps que la recherche ne peut plus se passer de financements privés, grince Jacques Testart. Directeur de recherche à l’Inserm et président de la fondation Sciences citoyennes, le biologiste, qui défend l’interdiction de breveter « tout le vivant », n’est pas convaincu par le glissement sémantique opéré dans le rapport. « L’expression « transposition nucléaire » dévie l’intention mais ne change rien au problème : si on est capable de faire de la transposition nucléaire, on est capable de faire du clonage reproductif. » Il craint qu’Alain Claeys n’ait été abusé par des utopies scientifiques. Pour autant, Jacques Testart ne se montre pas opposé « par principe » au clonage thérapeutique, « si on en a vraiment besoin. Aujourd’hui, on ne demande plus aux chercheurs d’être compétents mais compétitifs. Le problème, c’est qu’on n’a pas encore démontré la faisabilité de cette stratégie. On propose des expériences sur l’homme avant de les avoir terminées sur l’animal. Pourquoi se lancer dans une technologie acrobatique qui bouleverse l’éthique alors que l’on peut récupérer des cellules souches ailleurs ? » Dans ce débat qui oppose assez radicalement l’Église et des lobbies, son point de vue « d’humaniste antilibéral » serait, à l’en croire, plutôt minoritaire, notamment chez les scientifiques les plus impliqués, « un peu comme dans le débat sur les OGM » . Les biologistes manqueraient-ils d’éthique ? « Comme tout le monde », soupire le président de la fondation Sciences citoyennes. Nombreux, dont Alain Claeys, réclament l’instauration d’un cursus d’éthique dans l’enseignement de la recherche. Si le débat devait reprendre en 2007 autour des questions de clonage et de manipulation du vivant, comme l’espère Alain Claeys ­ « les présidentiables auront à se prononcer là-dessus » ­, Jacques Testart souhaiterait qu’il privilégie les propositions de « moindre coût éthique ». Une perspective jusque-là trop peu envisagée.

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