Homoparentalité : en quête de reconnaissance

Porte-parole de l’Association de parents et futurs parents gays et lesbiens, Franck Tanguy évalue l’évolution des mentalités cependant
que les inégalités perdurent.

Ingrid Merckx  • 15 février 2007 abonné·es

L’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) a organisé, le 3 février à Paris, un débat « scientifique et politique » sur l’homoparentalité. La science permet-elle, conditionne-t-elle la reconnaissance ?

Franck Tanguy :> Face aux objections de principes, fondées sur des préjugés et des croyances, et face aux politiques qui disaient ne pas pouvoir prendre position sur des sujets qui n’avaient pas fait l’objet d’études, nous nous sommes livrés depuis plusieurs années à un travail de recensement. Nous publions aujourd’hui un Guide bibliographique de l’homoparentalité, qui compte près d’un millier de références. L’argument de l’absence de travaux ne peut plus nous être opposé. En outre, ceux-ci établissent qu’il n’y a pas de différences significatives sur le plan du développement psycho-social entre l’enfant de parents gays et/ou lesbiens et l’enfant de parents hétérosexuels. Ce que certains nous objectent maintenant, c’est le manque de recul. Selon les scientifiques présents le 3 février, on ne peut pas prédire le destin de quelqu’un dans plusieurs générations, quel qu’il soit. L’argument du manque de recul relève donc aussi du préjugé. Il y aura toujours un noyau impossible à convaincre. Maintenant, pour les autres, faut-il forcément en passer par l’argumentaire scientifique ? Élisabeth Roudinesco [historienne et psychanalyste NDLR] estime qu’on n’a pas besoin de prouver sans cesse que les familles homoparentales sont comme les autres. Reste que, sur mille travaux, moins de vingt sont négatifs, et ces derniers ont été commandés par des organismes religieux.

Le 7 février, des responsables religieux se sont déclarés contre le mariage homosexuel et l’homoparentalité dans un texte qui constitue la première réaction interreligieuse sur ce sujet en France. Comment le recevez-vous ?

Cette réaction est un peu désespérante. On y sent des relents d’homophobie, au sens presque biblique. C’est curieux que l’oecuménisme se fasse sur le dos des homoparents. Cela interroge aussi : ces gens se défendent comme s’ils étaient menacés. Qu’ont-ils à perdre ? Un contrôle sur les normes et sur une frange de la population ? Ils ne font pas honneur à leur philosophie. Cela dit, il existe des positions très diverses au sein de l’Église, et, individuellement, beaucoup plus d’ouverture qu’au niveau institutionnel. Le clivage, comme dans le reste de la société d’ailleurs, est surtout générationnel : plus on est jeune, plus on est éduqué et plus on est soit indifférent, soit favorable à l’homosexualité et à l’homoparentalité. On observe la même schizophrénie dans les partis politiques : des représentants peuvent se dire contre au nom de leur parti, mais personnellement pour, souvent du fait d’expériences familiales.

Vous aviez invité les politiques à débattre. Les positions évoluent-elles ?

Ségolène Royal, Dominique Voynet et Nicolas Sarkozy nous ont fait parvenir des déclarations qui ont été lues. Marie-George Buffet était présente. Il y avait aussi Jean-Christophe Lagarde pour l’UDF, Laurent Wauquiez pour l’UMP, Gilles Garnier pour le PC, Patrick Bloche pour le PS et Noël Mamère pour les Verts. À gauche, je n’ai pas le sentiment que les choses aient vraiment bougé, mais la maturation sur l’homoparentalité y est beaucoup plus ancienne qu’à droite. Marie-George Buffet est quand même revenue sur les anciennes positions du PC et a défendu une évolution positive. Au PS, on attend des progrès en direction de la procréation médicalement assistée. Les grandes avancées concernent l’UDF : Jean-Christophe Lagarde a pris position en faveur non pas d’un mariage, encore clairement rattaché au mariage religieux, mais d’une forme d’union. Pour l’UMP, les avancées sont moins importantes.

Depuis des années, nous avons deux tactiques : recenser les études et les encourager, mais aussi rencontrer les politiques. Si la gauche a fait son travail, nous n’étions pas reçus par les partis de droite. Nous n’en avions pas tellement envie non plus : il y avait au moins autant de préjugés de notre côté que du leur. Depuis quelque temps, nous avons entamé un dialogue avec la droite. On y entend même des positions individuelles différentes des lignes des partis. La position de Nicolas Sarkozy, si elle autorise des petits aménagements, exclut la filiation.

Dans le tourbillon des alternances, les politiques familiales semblent plutôt consensuelles. Qu’en pensent les nouvelles familles ?

Si les avantages acquis ne sont pas remis en cause, c’est tant mieux pour tout le monde. Mais combien d’années les familles homoparentales vont-elle devoir attendre encore pour connaître des avancées concrètes au niveau de la définition des liens qui unissent les enfants et les adultes, et des inégalités qu’ils rencontrent ? On n’est même pas certain que les avancées millimétriques dont parle la droite seront mises en oeuvre.

D’après le psychanalyste Serge Hefez, la marge éclaire la norme. De quelle manière l’homoparentalité éclaire-t-elle la famille traditionnelle ?

Élisabeth Roudinesco nous a dit un jour : « Je suis enfant de divorcés. Il y a quarante ans, j’étais la seule. » La situation des familles homoparentales met en évidence le fait que la famille en France a bougé. La famille homoparentale permet aussi de prendre en compte différentes configurations : des ex-hétérosexuels qui concluent une union homosexuelle, des coparents (un gay et une lesbienne ont un enfant ensemble), les maternités par insémination artificielle et procréation assistée, et les familles adoptives.

Lors du débat, le médecin Israël Nisand a déclaré que la discrimination pouvait mener à la mort et qu’il fallait que les non-homosexuels défendent le droit des homosexuels à vivre normalement. Qu’en pensez-vous ?

Israël Nisand s’exprimait dans un contexte très particulier : une partie de sa famille juive a été exterminée et l’autre a été sauvée par des non-juifs. Ce que je peux ajouter, c’est qu’il faut que les familles hétéroparentales s’emparent des questions posées par les familles homoparentales parce que leurs nouvelles familles sont aussi concernées, notamment autour du statut du beau-parent dans les familles recomposées. Au rang de nos revendications, la reconnaissance du parent social arrive en tête, avec la possibilité du recours à une insémination avec donneur pour les couples de lesbiennes. Actuellement, celles-ci sont obligées de se rendre en Belgique, et toutes ne peuvent se le permettre. Il est évident, enfin, que le mariage réglerait un certain nombre de problèmes de droits, même s’il ne résoudrait rien pour les coparents.

Pour en savoir plus : www.pour-politis.org

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