Les oubliés du Darfour

Deux cent mille morts et plus de deux millions de déplacés : tel est le bilan du conflit au Soudan qui perdure depuis trois ans. Reportage dans l’un des camps qui accueillent les réfugiés au Tchad, à Kounoungou.

Véronique Mougin  • 8 février 2007 abonné·es
Les oubliés du Darfour
© Secours Catholique-Urgence Darfour : 106, rue du Bac, 75007 Paris, 01 45 49 73 00

Les tentes à perte de vue, et quelques bâtiments en dur ­ en béton parfois, en terre le plus souvent. À quatre-vingts kilomètres de là, la frontière soudanaise. Ici commence Kounoungou, l’un des douze camps installés à l’est du Tchad pour accueillir les 230 000 malheureux que le conflit du Darfour a poussés à l’exil. Dans cette ville de toile, gérée par l’ONG Secadev avec l’aide du Secours catholique (<www.secours-catholique.asso.fr>), plus de 13 300 réfugiés se sont installés depuis trois ans. Derrière eux, au Soudan, ils ont laissé leurs terres et leur bétail. Pour fuir les milices janjawids, ils ont abandonné leur maison. On compte 60 % de femmes à Kounoungou. Leurs maris ? Tués ou portés disparus. Elles ont connu l’exil, le viol parfois, mais elles ont survécu, trouvant au Tchad une terre de paix… À défaut de sécurité.

« Ces mères de familles sont des proies faciles » , soupire Marie Foundah, responsable des activités socio-communautaires dans le camp. « Certaines sont victimes de violences dans le camp ou à l’extérieur, notamment lorsqu’elles vont en brousse chercher du bois de chauffe. » Entre Tchadiens et réfugiés, les frictions, en effet, ne sont pas rares. Bois, mais aussi pâturages ou points d’eau : ces ressources rares, les villageois locaux doivent en effet les partager, contre leur gré, avec les damnés du Darfour.

Dans l’enceinte même du camp, ce sont les tensions entre réfugiés d’ethnies différentes, Zaghawa et Tama, qui parfois tournent au drame. En janvier dernier, deux membres de la communauté zaghawa ont été assassinés. Par peur des représailles, treize familles tama ont pris la fuite. Alors, la sécurité s’organise : le jour, une demi-douzaine de gendarmes tchadiens patrouillent à proximité du camp. La nuit, lorsque les humanitaires ont repris la piste défoncée menant à Guéréda, la ville où ils logent, les réfugiés veillent eux-mêmes sur leurs demeures de fortune. Ainsi va la vie à Kounoungou, entre précarité et normalisation.

En novembre 2006, 2 000 élèves du primaire ont pu faire leur rentrée. Les années passant, des mariages sont célébrés. Trente bébés naissent chaque mois. « Toutes les grossesses ne sont pas désirées, nous travaillons donc avec les femmes sur la planification familiale, mais aussi sur l’excision , explique Marie Foundah. Un suivi psychosocial pour les victimes de violences domestiques ou sexuelles a également été mis en place. » Ce n’est pas tout : des formations (broderie, vannerie, alphabétisation…) sont dispensées aux réfugiées. Certaines bénéficient de microcrédits pour fonder un petit commerce.

Mais les moyens font défaut : Marie Foundah attend de pied ferme les machines à coudre et les séchoirs solaires déjà prévus dans le budget 2005. Pour l’atelier couture, elle manque de laine, de fil, de tissu… Bref, de tout. Est-elle découragée ? Pas franchement. « Au niveau sanitaire, notamment, la situation des réfugiés s’est améliorée. En 2004, on recensait dix morts par mois ; aujourd’hui, il n’y en a plus que quatre. Les rations de nourriture sont insuffisantes, mais elles perdurent. Auprès des femmes, nos actions portent leurs fruits. » Celles qui, jadis, n’osaient pas prendre la parole devant les hommes s’émancipent doucement. Certaines trouvent la force de dénoncer les auteurs de viols. « Tout cela m’encourage » , reprend Marie Foundah. « Et si nous, les humanitaires, baissions les bras, qui resterait sur le terrain ? Le conflit au Darfour a été oublié par la communauté internationale. Nos subventions diminuent, alors même que les besoins sont toujours importants. Tant qu’il y aura des réfugiés, je serai là » , conclut cette mère de trois enfants, qui a quitté sa ville d’origine et sa fille cadette de 8 ans afin de venir travailler à Kounoungou. Elle le sait bien : son retour à la maison n’est pas pour demain.

« En plus des réfugiés arrivés dès le début du conflit, de nouveaux venus nécessitent aujourd’hui une prise en charge en urgence » , explique Noubadi Oussoumringar, le camp manager de Kounoungou. Malgré les pressions de l’ONU, le gouvernement soudanais refuse toujours le déploiement de 17 000 casques bleus au Darfour. La guerre continue de jeter des familles sur les chemins de l’exil ; 700 nouvelles personnes sont arrivées en novembre dernier à Kounoungou. S’y ajoutent quelques Tchadiens, qui fuient les violences intercommunautaires. D’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le cap des 100 000 Tchadiens déplacés à l’intérieur de leur pays a été franchi début janvier. Qu’importe la nationalité : à l’est du Tchad, les camps de toiles ne sont pas près d’être démontés.

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