Maigrir pour conduire

Hélène Crié-Wiesner  • 22 février 2007 abonné·es

La scène se passe dans le Nebraska, État situé dans le très agricole Middle West, leader de la production américaine de boeuf, de porc, de maïs et de soja. Réunion de famille classique : les femmes au salon, parlant enfants et boulot, les hommes à la cuisine (près du frigo) avec des bières, parlant pognon. Certains ne se sont pas vus depuis un an ou plus, car l’Amérique, c’est grand. Les hommes restés au pays briefent les cousins exilés sur la côte est.

Ron est investisseur dans une compagnie bancaire : en moins de dix mois, sa boîte a transféré la plupart de ses placements vers les biocarburants : « On ne fait plus que ça : acheter des actions touchant de près ou de loin au biodiesel et au bio-éthanol. » Mike est courtier en maïs : « L’agroalimentaire est en chute libre ; maintenant, l’essentiel du maïs et du soja est destiné à l’énergie. On en est à préacheter les récoltes des années à venir pour garantir l’approvisionnement des usines de biocarburant, qui poussent comme des champignons. » Au lieu d’être transformés en farines, conserves, huile ou tourteaux, les grains et les haricots sont préparés selon les desiderata des énergéticiens ; quant aux fanes, elles sont séchées et expédiées en Chine, où elles sont réhydratées pour générer un autre type d’éthanol, raconte Mike : « Aux US, ça coûterait trop cher comme production, les Chinois le font mieux que nous. » Ron ajoute que les cultivateurs du Nebraska, investisseurs autant que producteurs, sont aux anges.

Une épouse s’immisce : « En un an, le seau de pop-corn au cinéma a augmenté d’un dollar. Et votre steak, les gars, vous savez combien il nous coûte, à présent ? » Les hommes opinent : c’est le corollaire obligé de la mutation, cette augmentation vertigineuse des prix de la nourriture. Et ce sera de pire en pire. Dans tous les cas, le Nebraska sera gagnant, car les gains y seront supérieurs à l’augmentation du coût de la vie. Croient-ils. Les cousins de la côte est font une drôle de tête.

Rentrés à la maison, les cousins écoutent la radio : au Mexique, la révolte populaire gronde à cause de l’augmentation du prix des tortillas (base de l’alimentation, faites de farine de maïs). Au supermarché, la cousine (française) contemple les rayons d’un air narquois : ces aliments américains industriels qu’elle déteste parce que tous sucrés, farcis de sirop de maïs pour écouler une surproduction agricole archisubventionnée, céréales, pains, soupes, jambons, yaourts, ces trucs à mille calories la cuiller, vont-ils enfin devenir inabordables ? Et si les gens étaient condamnés à maigrir pour assurer l’indépendance énergétique des États-Unis ?

Écologie
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