Retour sur l’Erika

Le procès du naufrage du pétrolier maltais débute lundi prochain. L’un des enjeux principaux consistera à cerner la responsabilité de Total, son affréteur.

Patrick Piro  • 8 février 2007 abonné·es

Cueilli par une tempête, le 12 décembre 1999, l’ Erika coule au large de la Bretagne sud. Le pétrolier battant pavillon maltais relâchera 20 000 tonnes de fioul, qui souilleront 400 kilomètres de littoral français. L’une de ses pires marées noires, par son extension et la nature du fioul (dit « n° 2 »), lourd et visqueux. La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) estime à près de 300 000 le nombre d’oiseaux touchés ­ dix fois plus que lors de la catastrophe de l’ Amoco Cadiz, en 1978. Le montant des dommages cumulés approche les 750 millions d’euros. Dont 400 millions pour les régions Bretagne, Pays-de-la-Loire et Poitou-Charentes, au titre de « préjudices écologiques », notion juridique émergente.

Sept ans après le naufrage, le 12 février, s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris, pour quatre mois, un vaste procès, qui promet d’être très médiatisé. Quelle vérité peut-il en sortir ? Quinze mises en examen ont été prononcées, et dans l’écheveau des acteurs et des sociétés écrans, les candidats à une part de responsabilité ne manquent pas. L’ Erika , 25 ans d’âge lors du naufrage, s’est rapidement coupé en deux sous l’assaut des lames. Que savaient de l’état réel de cette quasi-épave son capitaine (le commandant Mathur), son armateur présumé (la société Tevere Shipping), son opérateur (la société Panship) ? Quelle responsabilité pour la société de classification Rina, qui avait délivré une autorisation de circulation à l’ Erika quelques semaines auparavant ? Cinq fonctionnaires français sont également mis en examen, pour leur comportement lors la phase d’assistance au navire en péril. « C’est suffisamment rare pour être relevé » , souligne Alexandre Faro, avocat d’une dizaine d’associations écologistes, parties civiles parmi 70 autres. C’est donc la faillite de tout un système qui sera évoquée à la barre, avec ses procédures de contrôle insuffisantes.

Illustration - Retour sur l'Erika


Paris : des membres de Greenpeace, le 27 décembre 1999, devant le siège de la firme pétrolière Totalfina à La Défense, après la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier Erika. AFP/ Eric Feferberg

Mais le rang de vedette du procès semble par avance dévolu au pétrolier Total. « L’objectif de mes clients est d’en obtenir une incrimination à hauteur de son rôle , explique Alexandre Faro. Sa responsabilité morale est en tout cas flagrante : la société est française, il s’agit de son fioul, et ce sont les côtes nationales qui ont été souillées. »

Le compagnie pétrolière tentera de démontrer que le contrat de transport n’engageait pas sa responsabilité. Elle a d’ailleurs obtenu des réparations partielles, via le fonds d’indemnisation Fipol, pour la perte de la cargaison ainsi que les frais de pompage du fioul, qu’elle a assumés…

Mais Total ne pouvait pas tout ignorer de l’ Erika , argumente Alexandre Faro, car le contrat de transport était assorti de clauses exceptionnelles, dites de « vetting » : droit d’expertise sur les bateaux, pour l’affréteur, et accès permanent aux informations de transport pendant toute sa durée. « Total devra expliquer ce qui l’a conduit à porter son choix sur un tel rafiot… » Et à transporter un fioul aussi salissant et toxique que du « n° 2 ». Quelles conséquences pour les 20 000 volontaires (chiffre estimé par l’Association des bénévoles de l’ Erika ) qui l’ont nettoyé pendant des semaines ?

Le fioul n° 2 est cancérogène, on l’a rapidement su lors de la catastrophe. Mais l’information a été tue par les services sanitaires par crainte d’affoler la population. En effet, plusieurs études avaient aussi conclu à une très faible probabilité de risque. D’abord parce que le fioul avait eu le temps de libérer ses composants volatiles les plus dangereux lors de sa dérive en mer, mais aussi parce que les bénévoles n’ont individuellement été exposés que quelques jours, et par contacts cutanés.

Pourtant, les récents travaux de la toxicologue Annie Pfohl-Leszkowicz (École nationale supérieure d’agronomie de Toulouse) relancent la controverse : les cuves de l’ Erika auraient surtout renfermé des dérivés lourds non étudiés précédemment, puissamment cancérogènes. « Le risque a donc été très sous-estimé, notamment lors de mises en suspension dans l’air ­ des nettoyages au jet, en milieu confiné, chaud et sans protections adéquates. »

André Cicolella (Institut national de l’environnement industriel et des risques), qui a évalué ce risque, estime que son importance, au vu des conditions d’exposition, n’est pas remis en cause par ces nouveaux éléments de toxicité.

En revanche, ils jettent une ombre nouvelle sur la nature réelle de la cargaison de l’ Erika , après l’identification par Bernard Tailliez (laboratoire Analytika), en 2000, d’un composant suspect. Fioul n° 2 ou déchets d’hydrocarbures ? Et pourquoi avoir autorisé des bénévoles, quand seuls des professionnels équipés auraient dû être envoyés ?

Aucune réponse du côté des autorités… Ni du tribunal de Paris : la polémique échappera opportunément à son examen, « car les éventuelles conséquences sanitaires ne sont a priori pas la résultante d’une action intentionnelle » , explique Alexandre Faro.

Écologie
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