Une forte tête au FSM

Le Forum social mondial de Nairobi a révélé une société civile africaine de plus en plus responsable et dynamique. À l’image de Wangui Mbatia, une jeune avocate à la forte personnalité. Portrait.

Patrick Piro  • 1 février 2007 abonné·es

L’une des grandes réussites du FSM, qui annonce avoir finalement enregistré 60 000 participants, est d’avoir montré le dynamisme de nombreux groupes africains. Wangui Mbatia, jeune avocate kényane, est l’une de ces « révélations », reflétant un rajeunissement des cadres de la société civile du continent, leur féminisation, leur détermination, mais aussi un état d’esprit animé par la recherche de l’autonomie vis-à-vis du Nord et le rejet d’une corruption endémique.

La jeune femme surgit à l’ouverture du rassemblement altermondialiste, en dénonçant une forte contradiction : les plus démunis sont d’office mis à l’écart par le montant du tarif d’entrée (500 shillings, soit 4,50 euros). Wangui Mbatia est immédiatement intronisée porte-voix officieuse de ses exclus. Dans son sillage, plusieurs mouvements sociaux (dont les No Vox, regroupement de groupes de « sans ») obtiendront des organisateurs qu’ils ouvrent à tous les portes du stade où se déroulent les débats. Dans le monde militant kényan, certains s’étonnent de l’irruption de Wangui Mbatia. Opération politique ? Le pays élit son Président et son Parlement en décembre. Elle assure n’avoir aucune ambition de ce côté. Son quartier général est le parc Jee Van Jee, terrain de réunion depuis de longues années de la branche de Nairobi du People’s Parliament (Parlement du peuple), dont elle se présente comme animatrice ­ « Je suis trop passionnelle pour être porte-parole », se retranche-t-elle, avec un discours réfléchi.

Ce mouvement est né en 1992, quatre ans après que le pays s’est ouvert au multipartisme. Il privilégie le débat d’idées et la participation du plus grand nombre, quand les partis kényans servent généralement l’ambition d’une personnalité. En assemblée permanente, le People’s Parliament est en majorité constitué de personnes à revenu modeste et faiblement éduquées. Peu d’universitaires et d’illettrés aussi, « un assez bon reflet de la société kényane » , estime Wangui Mbatia. Environ un millier de personnes passeraient chaque semaine au parc Jee Van Jee pour débattre de politique.

Le mouvement, qui est implanté dans sept régions du pays, élit chaque année son « cabinet fantôme », à la mode britannique, désignant en particulier ses ministères sociaux ­ éducation, santé, questions agraires, etc. « Nous traversons aussi nos crises , convient-elle en souriant. Cette année, nous avons échoué à désigner notre « gouvernement ». »

Wangui Mbatia est issue d’une famille très modeste de six enfants, de la petite bourgade de Kikuyu, à trois quarts d’heure de route de Nairobi. Sa mère, employée municipale, est balayeuse au marché. Volontaire, la jeune Wangui se montre très douée pour les études. À la fin du lycée, les élèves de l’école se cotisent pour lui permettre d’aller étudier le droit social à l’université de Nairobi. Une pratique de solidarité courante en Afrique. Elle en bénéficiera une seconde fois, quand ses excellents résultats l’autorisent à postuler pour une formation supérieure aux États-Unis. Elle passera trois ans à San Francisco, grâce à une gigantesque collecte à laquelle participent près de 3 000personnes. « C’est devenu un projet du village » , évoque-t-elle, émue.

Elle a choisi de remercier à sa manière. Plutôt que de faire fructifier sa carrière dans les affaires, Wangui Mbatia consacre son activité à des causes politiques. Au côté du People’s Parliament, elle est l’une des fondatrices du groupe de pression Katiba Watch, opposé à la modification de la Constitution kényane qui consacrait un recul de la démocratie, selon ses détracteurs. Le projet sera abandonné en 2005, à la suite d’une campagne de sensibilisation populaire. Wangui Mbatia est aussi très active dans la lutte contre les lois antiterroristes kényanes et au sein de campagnes contre la hausse dramatique du coût des aliments et des transports.

Non sans risque… « Militer n’est pas de tout repos, ici. » Arrêtée à plusieurs reprises, elle explique être sous le coup de deux instructions judiciaires qui peuvent la mener en prison. « Depuis deux ans, je dois pointer tous les mois à la cour de justice. »

À 32 ans, cette hyperactive reconnaît avoir renoncé à la vie de famille. « Très difficile pour moi d’avoir un « boy-friend », sourit-elle, je n’ai pas le profil de la femme sécurisante. » Pas d’enfants non plus, faute de revenus suffisants. Elle vit toujours à Kikuyu, où quelques poules et un lopin de terre pourvoient en partie à son alimentation. « Le coût de la militance est plus élevé pour les femmes » , souligne-t-elle. Au parc Jee Van Jee, elle est régulièrement la seule. « Ici, il y a un malentendu entre passion des idées et féminité. »

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