Une social-démocrate

Denis Sieffert  • 15 février 2007 abonné·es

Ce n’est pas encore l’envol, mais ce n’est déjà plus tout à fait le trou d’air. À Villepinte, Ségolène Royal a pris de l’altitude… en cessant de planer. Elle est devenue une candidate social-démocrate, avec les forces et les faiblesses inhérentes à ce statut. Une figure politique familière en somme. Fin de la campagne new age . Après avoir tutoyé les abîmes, elle a mis du baume au coeur de tous ceux qui commençaient à croire inéluctable la victoire de Nicolas Sarkozy. Telle qu’elle nous est apparue dimanche, avec ses promesses en l’air, ses élans de générosité, son ordre moral, ses audaces diplomatiques, ses franches avancées sur des questions de société, son anticolonialisme, ses émotions, ses rigidités, ses contradictions, Ségolène Royal est une candidate qui peut rassembler au second tour toutes les composantes de la gauche. Ce n’était pas donné voilà seulement quelques jours. Hélas, en deux heures de discours ­ et un exercice formellement réussi ­, la candidate socialiste n’a pas accordé un mot au financement de ses innombrables promesses. Pas trace non plus de ce futile souci dans sa centaine de propositions, qui constituent la version longue de son propos. Ce silence jette le doute sur certaines de ses suggestions sociales. Ilcrée aussi un étrange paradoxe. Une sorte d’inversion des rôles entre une gauche socialiste réputée gestionnaire et l’autre gauche, celle des « doux rêveurs », celle des collectifs pour un rassemblement antilibéral, qui, elle, fait assaut de responsabilité budgétaire en justifiant son programme à l’euro près. Mais, au fond, ce renversement s’explique parfaitement.

Si les experts qui travaillent au côté de Ségolène Royal peinent à financer le programme de la candidate, c’est qu’ils ne se situent pas ­ ou marginalement ­ dans une logique de redistribution. Dès lors, ils n’ont qu’un recours possible : la croissance ! Cette manne magique qu’ils invoquent comme on brûle un cierge, prophétisant avec une belle constance 2,5 % pendant cinq ans. Ce n’est jamais le gâteau que l’on partage autrement, ce sont les parts qui se multiplient à l’infini comme les pains dans les Évangiles. Une conception par ailleurs peu compatible avec la philosophie (timidement) écologiste revendiquée par la candidate. À l’inverse, sur les 125 propositions des collectifs antilibéraux, que José Bové et Marie-George Buffet se proposent de mettre en oeuvre, une dizaine envisagent par le menu des modes de financement qui, sans s’inscrire franchement dans une logique de décroissance, pensent d’abord en termes de redistribution. Et c’est ici, bien sûr, qu’il faut s’interroger sur les deux magistrales impasses du discours de Villepinte : la réforme fiscale et la réforme du secteur bancaire et financier.

Dominique Strauss-Kahn aurait-il travaillé pour des prunes ? On avait pourtant médiatisé à grand renfort de tambour le ralliement du rival malheureux de Ségolène Royal, et sa « contribution » fiscale à l’oeuvre commune ! Dimanche, on cherchait en vain la patte de DSK dans le long catalogue de propositions.

Le véritable impôt progressif, la taxation sur les transactions financières, et celle des capitaux financiers des entreprises et des banques, tout cela, c’est chez les antilibéraux qu’il faut le chercher. Il ne s’agit surtout pas ici d’économie, mais bel et bien de politique. L’économie devient politique à partir du moment où elle échappe à des phénomènes mécaniques et résulte de choix assumés. Mais laissons à nos spécialistes, et en particulier à Pierre Larrouturou, le soin d’analyser plus finement le discours de Villepinte. Pour n’évoquer qu’un chapitre lui aussi famélique. Celui de la France dans le monde. Après deux voyages catastrophiques, au Proche-Orient et en Chine, Ségolène Royal avait beaucoup à se faire pardonner. Son propos de dimanche ne manque pas de courage. Sur l’Afrique d’abord, « victime des désordres du marché ». En promettant ensuite d’agir pour « que soit respecté le droit international » (et en ajoutant sèchement : « Celui-ci existe, il n’est que de l’appliquer ») , ne fait-elle pas allusion au conflit israélo-palestinien ? La référence est encore plus explicite lorsqu’elle précise : « Nous réclamerons de nos meilleurs amis que les résolutions du Conseil de Sécurité soient mises en oeuvre, que les grands traités du désarmement, de l’environnement, soient respectés. » Dans la langue de bois diplomatique (que Ségolène Royal a apprise en hâte au cours des dernières semaines), « nos meilleurs amis » sont presque toujours Israël et les États-Unis. La Russie aussi, dont elle a promis de dénoncer les « crimes de guerre en Tchétchénie » . Chiche ! Certes, ce ne sont que des mots. Mais que fait-on d’autre en campagne électorale que de dire des mots ? Et ces mots-là valent mieux que l’inquiétante profession de foi atlantiste ­ très « choc des civilisations » ­ de Nicolas Sarkozy.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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