Airbus : au-delà des bonnes intentions

Denis Sieffert  • 8 mars 2007 abonné·es

Dans leur malheur, les salariés d’Airbus ont une chance : la crise de l’avionneur, avec l’annonce de quelque 10 000 licenciements, dont 4 300 en France, éclate en pleine campagne présidentielle. Auraient-ils eu droit à une telle sollicitude en d’autres temps ? Mais ils peuvent aussi craindre que l’intérêt qu’ils suscitent n’aille guère au-delà de l’échéance électorale. En attendant, chaque candidat se livre sur le sujet à des figures imposées. Dans cet exercice, le très libéral Sarkozy a quelques difficultés à assumer son libéralisme. Pas facile quand on convoite les fonctions de chef de l’État de dire que l’État ne peut rien, de s’en réjouir, et de plaider en faveur d’un total désengagement. La contradiction est si manifeste que le candidat de l’UMP, après un premier élan ­ celui de sa vérité, sans aucun doute ­, s’est surpris à remettre un peu d’État là-dedans. Au moins provisoirement. À la façon de ce qu’il avait déjà fait pour Alstom. Nicolas Sarkozy serait donc un intermittent du néolibéralisme. En théorie, la partie est évidemment plus facile pour Ségolène Royal. Mais, dans cette campagne, les socialistes n’en finissent pas de balader leur traumatisme de 2001. Ils font penser à un boxeur qui remonterait sur le ring, hanté par les images de son dernier K.-O. N’ayant toujours pas les idées très claires sur les causes de leur échec, ils ont résolu de faire tout le contraire de ce qui fut fait sous l’ère Jospin. D’où leur hargne à étouffer toute candidature de la gauche antilibérale.

D’où, également, leur empressement à prendre l’exact contre-pied de l’ancien Premier ministre, qui avait affirmé, en 1999, à propos de la crise de Michelin, que « l’État ne pouvait pas tout », en suggérant qu’il ne pouvait rien. Mais la malheureuse formule était moins critiquable en raison du constat qu’elle établissait à l’instant où elle était prononcée que parce qu’elle rendait compte d’une politique déjà ancienne qui avait en effet consisté à affaiblir les pouvoirs publics. D’autant que ce transfert du pouvoir du public vers le privé (qui correspondait à un autre transfert, celui des richesses du travail vers le capital) s’était largement accompli en période de gouvernements socialistes. Il ne s’agit donc pas seulement aujourd’hui d’exorciser le propos maudit, mais de revenir sur une politique déjà vieille de trente ans, et qui constitue la contribution française et européenne (et parfois socialiste) à la mondialisation libérale. Il faudrait donc, pour que les propositions de Ségolène Royal dans le dossier Airbus soient crédibles, que son pacte présidentiel porte la trace d’une réorientation, notamment de la politique européenne. On pense en particulier àl’indépendance de cette banque européenne qui impose ses obsessions monétaristes à une Europe qui n’en peut mais, puisque la politique a abdiqué du principal pouvoir économique. On pense aussi aux harmonisations fiscales et sociales qui auraient fait de l’Union une entité homogène et socialement exigeante.

Faute de cela, il est difficile d’opposer dans le dossier Airbus les États aux actionnaires privés. Les uns sont bel et bien mus par l’appât du gain ­ ce qui explique le réflexe de retrait de Lagardère et de Daimler Chrysler dès les premiers signes de crise. Mais les autres se sont surtout distingués par leur avidité dans la concurrence et par leur nationalisme. Dans cette affaire, le nationalisme et le néolibéralisme sont alliés. C’est à une réorientation profonde d’une politique née à l’orée des années 1980 que les socialistes doivent se livrer. Sinon, l’empressement de Ségolène Royal àplaider pour l’entrée des Régions dans le capital d’EADS, la maison mère d’Airbus, aura toutes les apparences d’une gesticulation politique. Et Thierry Breton aura beau jeu de noter que l’affaire va coûter cher au contribuable sans lui conférer le moindre pouvoir réel (entre 0,6 % et 1 % du capital). Passons sur le fait que le financement de missiles (car c’est cela aussi, EADS !) n’est pas nécessairement la mission première de nos Régions. La bonne idée d’un moratoire gelant les licenciements, pour se donner le temps de la réflexion, renvoie au même débat. De quels moyens un président de la République française (ou une présidente) disposerait pour imposer la suppression des licenciements ? Airbus est comme larésultante de toutes les politiques néolibérales d’accompagnement de la mondialisation. Au-delà de cette crise hautement symbolique, la question est « stop ou encore ? ». Avec Ségolène Royal, rien n’est sûr. Avec Sarkozy, c’est le pire qui est sûr. À la manière de ce que suggérait ce chroniqueur du Monde (des 4 et 5 mars), s’appuyant sur une amicale préconisation d’un économiste de la banque Morgan Stanley : « La France ne délocalise pas assez ! » Construire Airbus en Chine. Voilà une idée !

P.-S. : Lire aussi sur le même sujet la chronique de Jacques Cossart.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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