Pesticides : un lobby en accusation

Un livre événement démonte l’enchaînement des collusions qui a permis, en France, le scandale d’une pollution en profondeur des milieux et des organismes par les pesticides.

Patrick Piro  • 1 mars 2007 abonné·es

Voici un titre clinquant, comme l’édition en promeut des dizaines par an. Sauf qu’il ne s’agit nullement, pour cet ouvrage, d’un artifice promotionnel. Dans Pesticides, révélations sur un scandale français , vous en aurez pour votre argent.

Que des insecticides, des herbicides ou des fongicides ­ toute cette chimie déclinée en centaines de molécules toxiques ­ soient massivement épandus sur les cultures, nous en avons conscience, plus ou moins confusément. Qu’ils ruissellent avec les eaux, s’infiltrent dans les sols, voyagent dans les airs, l’information devient notoire. Deux chiffres : 96 % des cours d’eau et 61 % des nappes souterraines contiennent au moins un pesticide. Qu’ils laissent des résidus sur les fruits et les légumes n’est plus une découverte ­ une pomme reçoit jusqu’à 36 traitements pendant sa croissance ! Qu’enfin ils contaminent les tissus animaux et humains, c’est hélas connu avec l’épouvantable DDT depuis des décennies.

Le Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF) a largement contribué à diffuser ces informations (officielles !) effarantes.

François Veillerette, son président, est coauteur de l’ouvrage, avec Fabrice Nicolino, journaliste spécialisé en écologie (il a notamment travaillé à Politis ).

Illustration - Pesticides : un lobby en accusation


Hong Kong : Manifestation des militants de Greenpeace contre la contamination des fruits et légumes en janvier 2007. AFP /Mike Clarke.

Ce livre est déjà largement édifiant par la masse de données qu’il rassemble et qui convergent vers une conclusion inéluctable : les milieux et les organismes sont pollués en profondeur par la chimie agricole. Mais il va beaucoup plus loin : il s’attache à démontrer en quoi ce scandale écologique et de santé publique est aussi, et d’abord, une indignité démocratique.

Car il provient d’un formidable lobby né lors de la bataille contre les ravageurs de cultures, dans les années 1940. Les pesticides « modernes » ­ organochlorés, organophosphorés ­ font alors merveille dans les champs. Ces pures saloperies seront plus tard vouées aux gémonies tellement elles sont toxiques et indestructibles dans la nature. Mais, à partir de 1945, l’opportunité de la reconstruction du pays offre une justification à la modernisation de l’agriculture ­ machinisme, chimie, création d’organismes clefs comme l’Institut national de la recherche agricole (Inra). Des hommes très décidés jettent les bases d’un système encore valide aujourd’hui, une nasse aux mains des industriels, dans laquelle se prennent syndicats agricoles, sociétés savantes, administrations et politiques.

Ce livre est un brûlot, Nicolino et Veillerette sont des militants de l’écologie. Mais ce n’est pas injure que de le dire, tant l’argument manquera de prise à l’heure où leurs détracteurs monteront à l’assaut (ce dont ils ne doutent pas) : les auteurs ne se départent jamais d’un véritable esprit d’investigation ; ce livre, aux antipodes du pamphlet idéologique, progresse solidement au sein d’une masse de documents dont la plupart proviennent des acteurs mêmes du très puissant lobby des pesticides. Les auteurs tirent de l’ombre une impressionnante galerie de personnages voyageant sans scrupules de laboratoires privés à l’expertise « indépendante », d’associations scientifiques en trompe-l’oeil à la haute administration, protégés par leur corps d’origine. Avec une pugnacité méritoire (et jubilatoire), les auteurs décrivent une collusion institutionnalisée entre intérêts privés et défenseurs présumés du bien public. Le livre recèle d’authentiques révélations (voir le chapitre sur l’homologation) et fourmille de citations qui laissent incrédule : l’audition hallucinante d’un responsable du Comité d’homologation des pesticides dans l’affaire du Gaucho et du Régentes éradicateurs d’abeilles (p. 269), ou l’incroyable credo d’André Rico (p. 222), ex-président de l’officielle Commission d’étude de la toxicité (Comtox) : « Ce n’est pas à nous de prendre des décisions par rapport à ceux qui vont naître ; les générations futures se démerderont comme tout le monde. »

La conclusion, le lecteur la subodore dès la première page. À la dernière, il a toutes les chances d’y adhérer : c’est un système d’une « exceptionnelle cohérence » qui s’est mis en place, au service d’intérêts économiques corporatistes, sous-tendu par une indécrottable idéologie productiviste, et qui n’honore pas, c’est un euphémisme, cette « grande démocratie » qu’est la France.

Un mot sur la forme, qui n’est pas secondaire. Même si le sujet est fort grave, on risque parfois d’être agacé par l’abondance d’adjectifs dramatisants. Mais on comprend l’intention : la théâtralisation de la démonstration a pour but (méritoire) de soutenir la plongée du lecteur novice au coeur d’une jungle malaisée. Pari essentiel. Car, au fond, que cherchent les auteurs ? Ils ont ficelé un ouvrage de grande qualité, ils auraient pu s’en tenir là. Mais il ne s’agit pas d’un « coup », c’est un engagement frontal dans la bataille pour une vérité qui sera longue à accoucher (et certaines pistes ébauchées appellent à de futures suites). Ils en appellent d’emblée au soutien de leur public. On pourra suivre le destin de ce livre important sur son site Internet ^2. Si les deux ne sont pas frappés d’interdit…

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes