Retraites : renversement de régimes

Le gouvernement est en passe de privatiser le régime spécial de retraite de la SNCF, sans avoir présenté de garantie de financement. Ensuite, Nicolas Sarkozy s’attaquera aux autres…

Thierry Brun  • 1 mars 2007 abonné·es

On savait la droite remontée contre les régimes spéciaux de retraite. Ce communiqué du conseiller politique de Nicolas Sarkozy, daté du 15 février, enfonce le clou. François Fillon y écrit que le candidat de l’UMP « est le seul à dire » qu’il financera les petites retraites « en réformant les régimes spéciaux » . Et Nicolas Sarkozy « n’a jamais menti aux Français » ! Dans le même temps, le gouvernement met la dernière main à la privatisation de l’un de ces régimes spéciaux, celui de la SNCF [^2], le seul qui ait échappé jusqu’alors aux réformes libérales.

Les principales organisations syndicales (CGT, FO, SUD-Rail, CFDT, Unsa, CFTC) distribuent depuis quelques semaines des tracts au titre éloquent : « Notre régime spécial peut-il survivre à la privatisation de notre caisse de prévoyance et de retraite ? » Elles veulent démontrer que le dossier, bien avancé, comporte de nombreux risques. « La direction et le gouvernement nous mentent en prétextant donner toutes les garanties sur la préservation du régime » , lance José Guiard, cadre administratif des Caisses de prévoyance et de retraite (CPR) et militant syndical à la CGT. Selon SUD-Rail, les scénarios de la direction de la SNCF prévoient de « faire porter sur les salariés les coûts de la pension » .

Les syndicats expliquent aussi que le régime spécial est menacé par un règlement européen qui « impose » de nouvelles normes comptables internationales (IAS-IFRS). Celles-ci doivent s’appliquer « à tous les organismes ou entreprises ayant recours à l’épargne publique au 1er janvier ». La norme IAS, inspirée par les banques d’affaires anglo-saxonnes, oblige à provisionner les engagements sociaux (prévoyance, action sociale, retraites, etc.) « non pas sur la base des dépenses prévues, mais pour toute la durée de vie restante » , explique SUD-Rail. Le montant des engagements de retraite est ainsi évalué à 111 milliards d’euros par le ministère des Transports, « une manière de rendre la SNCF insolvable, sauf si elle liquide ses acquis sociaux » .

« La SNCF doit traiter une question purement comptable, purement technique, qui n’a rien à voir avec les droits, avec le régime lui-même » , martèle de son côté Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF. Mais les syndicats ont appris en décembre 2006, par une note du conseil d’administration de l’entreprise publique, que le commissaire du gouvernement avait rendu un arbitrage allant dans le sens de la création d’une « caisse autonome » de retraite, donc de droit privé, première étape d’un adossement de la caisse de retraite de la SNCF au régime général [^3]. Après ce conseil d’administration, Didier Le Reste, secrétaire général de la fédération CGT des cheminots (majoritaire), écrit au Premier ministre : « Nous n’accepterons pas que ces nouvelles normes soient utilisées pour affaiblir le régime de retraite, à plus forte raison alors que se prépare la réforme des retraites de 2008, au centre de laquelle se trouveront les régimes spéciaux. »

Depuis, le calendrier s’est accéléré. « La nouvelle directive comptable doit être mise en application pour la présentation des comptes du premier semestre de l’exercice 2007 » , rappelle le Syndicat national des cadres supérieurs de la SNCF (SNCS). Mi-janvier, la direction des ressources humaines de la SNCF produit un document « sur la revalorisation des pensions » et étudie « l’incidence de l’autonomie juridique de la caisse » . On y apprend que, « quel que soit le périmètre de la nouvelle caisse, caisse de retraite ou caisse de prévoyance et de retraite, dès lors que le régime de retraite du personnel de la SNCF n’est plus un régime d’entreprise, la SNCF ne peut plus, sans risque de porter les engagements correspondants, décider des améliorations des pensions qui ne seraient pas financées par l’État » .

« Ces mesures désengageraient la SNCF et l’État de leurs obligations vis à vis des pensionnés » , répondent les organisations syndicales des CPR, qui ajoutent que le gouvernement s’apprête à signer un décret pour entériner le changement de statut des caisses, au mieux fin mars. Habituellement discrets, les cadres supérieurs du SNCS soulignent que « cette sortie des comptes SNCF n’est pas acceptable, sachant qu’elle expose les affiliés actifs et retraités aux risques de diminution des prestations ou d’augmentation des cotisations » .

« Il n’y a aucune garantie sur le financement du régime ni sur le processus d’indexation des salaires sur les pensions » , affirme José Guiard.

Et la réforme avance sans concertation, malgré les affirmations du ministère des Transports. « La réforme ne se fera pas sans les organisations syndicales » , a-t-il promis lors d’une rencontre avec les fédérations, le 7 février. Or, Algoé, un cabinet de consultants privé, travaille depuis plusieurs mois pour la direction de la SNCF à la « faisabilité » de l’adossement des CPR au régime général des retraites, brûlant ainsi les étapes, puisque le cabinet n’étudie pas la mise en place de la future caisse autonome, notent des experts des CPR. Et les fédérations syndicales n’ont reçu aucune réponse du ministère des Transports sur les garanties apportées au régime de retraite.

Tout indique que le gouvernement compte agir avant les élections. Pour faire avaler la pilule aux syndicats de cheminots, alors que les négociations salariales débutent cette semaine, la direction de la SNCF a fait circuler des consignes aux dirigeants pour les amadouer. Un document indique que l’appui de la CGT est recherché pour « l’autonomie de la caisse », en échange d’une augmentation de la prime de base servant au calcul du minimum de pension pour les retraités. Les négociations risquent donc d’être tendues ces prochaines semaines, d’autant que, pour le gouvernement, les régimes spéciaux sont un verrou à faire sauter pour revoir à la baisse l’ensemble du régime général de retraite.

[^2]: Un tel système a été mis en place à la RATP et à La Poste en vue d’adosser les caisses au régime général.

[^3]: Les Caisses de prévoyance et de retraite de la SNCF garantissent l’assurance maladie et vieillesse des agents actifs et des retraités, soit près de 600 000 bénéficiaires pour l’assurance maladie et près de 300 000 pour la caisse de retraite, selon les chiffres de la direction de la Sécurité sociale.

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