Une richesse manifeste

Des chercheurs, des responsables de structures culturelles et des membres de l’économie sociale et solidaire réfléchissent à un nouveau modèle économique pour l’art et la culture.

Clotilde Monteiro  • 1 mars 2007 abonné·es

« Nous représentons presque 90 % des structures artistiques et culturelles, nous sommes la majorité ! Il est temps que l’on se fasse connaître comme tels ! » , a lancé à l’assistance Serge Calvier, le vice-président de la Fédération des arts de la rue, le 24 janvier dernier. Ce jour-là, plus de deux cent cinquante personnes étaient réunies dans l’amphithéâtre Aimé-Laussedat du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) [^2]. Un public à la fois spectateur et acteur de cette journée, issu des réseaux associatifs de l’art et de la culture, ainsi que des chercheurs, tels que le sociologue Jean-Louis Laville ou le philosophe Patrick Viveret, y côtoyaient des élus curieux. Les représentants de l’économie sociale et solidaire ont pu échanger pour la première fois avec le milieu universitaire sur le thème « Culture et économie solidaire ». Cette rencontre inédite était destinée à faire dialoguer entre eux acteurs et chercheurs pour répondre aux questions soulevées par un manifeste titré Pour une autre économie de l’art et de la culture. Élaboré par l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles (Ufisc) [^3], ce document d’une dizaine de pages a créé l’événement en revendiquant pour ce secteur d’activité spécifique un autre modèle économique. Ces structures de droit privé ou associations régies par la loi de 1901, représentées par l’Ufisc, conjuguent une pluralité d’activités dans les domaines de la création de spectacles ou d’événements, de l’action culturelle sur le territoire en relation directe avec les populations.

Ce manifeste, dont un des objectifs était de rendre visible le développement spectaculaire de ce secteur d’activité, est désormais une pierre dans le jardin des pouvoirs publics. En trente ans, le secteur du spectacle vivant a connu un foisonnement sans précédent, notamment dans le domaine des musiques actuelles, du théâtre (de texte, d’objets, gestuel), de la danse, des arts du cirque et des arts de la rue. Le manifeste parle d’un « phénomène de société » qui a permis notamment une explosion de la pratique artistique amateur. Un tel accroissement d’activités pour ce secteur professionnel rend tangible l’existence d’un espace alternatif intermédiaire qui ne se reconnaît ni dans les exigences de l’État ni dans celles du secteur privé.

Signe des temps, cette initiative a été précédée de quelques mois par celle de 250 associations qui se sont fédérées pour signer une « Déclaration des initiatives artistiques et culturelles de l’économie solidaire ». Une nouvelle tendance (prononcée) du milieu artistique et culturel qui exige désormais de sortir du modèle binaire : le marché ou l’État. Ces initiatives qui espèrent, à terme, enclencher de nouvelles dynamiques de fonctionnement révèlent tous les enjeux qui agitent cette nébuleuse. Un secteur d’activité (soit plus de 80 % de ses structures) pour lequel les critères du privé à but lucratif sont inadaptés, alors que les pouvoirs publics tardent à reconnaître les ressources très diversifiées de ce secteur. Le manifeste révèle l’importance de cet espace parallèle « trop longtemps occulté » , alors qu’il est générateur d’une économie réelle. Ces initiatives artistiques qui répondent à des besoins non satisfaits nécessiteraient, comme le démontre le manifeste de l’Ufisc, de s’extraire des processus classiques de légitimation des productions artistiques.

Malgré son dynamisme, l’avenir de ce secteur n’en demeure pas moins menacé depuis la publication de l’instruction fiscale du 15 septembre 1998, relative à l’activité des associations régies par la loi de 1901. De son côté, le manifeste démontre le rôle précieux et indispensable joué par la culture au sein de l’économie solidaire. Ces structures, dont l’indépendance est source de créativité et d’innovation, se revendiquent comme le noyau vital de toute société en progrès et font la preuve de l’existence d’un espace socio-économique spécifique « d’économie non-lucrative de marché » . L’association Opale-Culture et proximité [^4], partenaire de cette rencontre organisée au Cnam, mettra sous peu en ligne sur son site le compte rendu de cette journée d’échanges, afin que le dialogue puisse se poursuivre entre les différentes parties. Les pouvoirs publics pourront-ils rester sourds plus longtemps à de telles initiatives ?

[^2]: Journée organisée conjointement par la chaire Relations de service du Cnam, l’Ufisc, l’association Opale/Cnar Culture et le Lise (Cnam/CNRS).

[^3]: L’Ufisc représente, via des organisations professionnelles, plus de mille structures développant des projets artistiques et culturels.

[^4]: L’association Opale-Culture et proximité, créée en 1988, offre ses services aux initiatives culturelles de proximité et coordonne des projets alternatifs d’entreprises, .

Temps de lecture : 4 minutes