Démocratiser l’économie

Nous publions ici un extrait de « l’Économie solidaire, une perspective internationale »* où l’auteur, Jean-Louis Laville, explique les origines politiques de ce mouvement.

Jean-Louis Laville  • 5 avril 2007 abonné·es

L’économie solidaire regroupe les activités contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagement citoyens. Commerce équitable, mouvement populaire en Amérique latine, mouvement communautaire en Amérique du Nord, services solidaires en Europe, quelles que soient les dénominations utilisées, ces actions microcollectives diversifiées suscitent une réflexion sur la nature du lien social et les finalités de l’échange économique, parce qu’elles proposent de réinscrire la solidarité au coeur de l’économie au lieu d’en corriger les effets selon les méthodes propres à l’État social. De plus, outre leur référence commune à un projet d’économie solidaire, et en dépit de leurs nombreuses différences, elles partagent toutes quelques signes distinctifs.

Le premier de ces signes tient à leurs origines. Elles sont apparues à partir des années 1960. Leur émergence est donc corrélée à la double crise, culturelle et économique, qui a affecté la société salariale. Certes, chacune des structurations nationales renvoie par ailleurs à une histoire plus ancienne, dans laquelle elle puise.Mais les années 1960 ont marqué un renouvellement dans ces formes d’expression de la société civile, identifiable aussi bien en Amérique qu’en Europe. Les exemples du Québec et du Chili le montrent avec une recrudescence et un changement d’orientation notables des mouvements populaire et communautaire au cours des trente dernières années. Il en est de même dans un pays comme la France, où les services solidaires sont l’une des manifestations de la dynamique associative empruntant d’autres voies que les formes les plus institutionnalisées du mouvement associatif, conçues en complémentarité par rapport aux syndicats et aux partis, et qui vivent parallèlement une forte déstabilisation, comparable à celle touchant les autres organisations de masse. Au demeurant, la visée de prise en charge de quartiers ou de groupes locaux par eux-mêmes, en préservant leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et des grandes organisations traditionnelles, est constitutive de ces démarches dans lesquelles l’action locale ne saurait être soumise à des impératifs la dépassant, d’ordre national ou international.

C’est cette volonté d’ancrage concret qui explique la liaison avec la sphère économique largement amplifiée à partir des années 1980. Les activités économiques sont menées en fonction de finalités sociales qui correspondent à une amélioration des conditions de vie dans des domaines aussi variés que le logement, la santé, l’aide à domicile, la garde des enfants ou la défense des chômeurs ; elles mettent aussi en avant, pour ce qui est des moyens, l’importance de l’entraide entre les personnes concernées par les problèmes auxquels elles s’attaquent. À l’évidence, la mobilisation et la gestion que nécessite l’engagement dans ces activités économiques peuvent avoir leur revers : le repli sur des enjeux insignifiants, le recours à l’auto-exploitation pour assurer la survie des entités de production. Cependant, cette intervention dans la production de biens et services peut également dépendre d’« un renouvellement des formes de politisation de l’action collective ». Mettant en cause aussi bien le monopole de la création d’emplois attribué à l’entreprise que le monopole de l’intérêt public détenu par l’État, l’action collective se centre moins « sur la seule revendication sociale accompagnée d’une action politique partidaire, elle est davantage occupée au développement d’une intervention à caractère économique ».

C’est pourquoi, au-delà des formes d’action locale, les composantes de l’économie solidaire sont confrontées à la question des modes de regroupement qui puissent leur permettre de s’exprimer dans une sphère publique non circonscrite au local, sans toutefois reproduire les modes d’organisation hiérarchisés qui ont entraîné la désaffection dont souffrent beaucoup de mouvements politiques. […] Mais les acteurs et réseaux de l’économie solidaire ne se sont pas contentés de structurations nationales, ils se sont impliqués dans cette « société civile mondiale qui vient ».

Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’inscription de l’économie solidaire au sein des forums sociaux mondiaux ait coïncidé avec le passage de l’antimondialisation à l’altermondialisme. En effet, l’économie solidaire entre en résonance avec un mouvement qui ne se contente plus de protester, mais articule revendications et propositions.

J.-L. L. © éditions Hachette.

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