Europe : pour sortir de la nasse

Alain Lipietz  • 5 avril 2007
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Un cadavre empuantit cette campagne, celui du traité constitutionnel européen. Le « non » français nous a juridiquement cloués dans l’Europe de Maastricht-Nice. Mais les électeurs, eux, croyaient se débarrasser de cette Europe-là en votant « non » ! Choix si mal ciblé que plus personne n’ose en parler.

Typique, le dossier de Politis du 22 mars : excellente analyse de la vallée de larmes qu’est l’Europe de Maastricht, Amsterdam et Nice… Mais quand il s’agit de nous en sortir, le relais est passé à un porte-parole de José Bové, défenseur du « non », Raoul Marc Jennar. Il pose la bonne question : « Faut-il accepter cette situation qui, progressivement, a amputé la souveraineté populaire de son effectivité ? » Non, bien sûr… Mais quelle solution propose-t-il ? Lisons, relisons l’entretien, on ne la trouvera pas. Sa réponse, il faut la chercher dans l’Humanité du 13 juillet dernier . Jennar est contre toute réforme de l’Union européenne par une consultation démocratique, car la majorité des peuples n’est pas suffisamment à gauche pour lui : « Je n’ai pas du tout le sentiment que pourrait émerger une majorité favorable à une Europe européenne, attachée à réaliser une alternative politique, économique, sociale et écologique au système que nous subissons. Il me paraît suicidaire de proposer que le prochain Parlement européen soit constituant. » Donc restons-en à Maastricht-Nice… jusqu’à la Révolution ?

Tel était, en fait, la position de certains « dirigeants du « non » », de Le Pen à Besancenot. Leur fond de commerce, c’est de rester dans l’opposition et la critique. Plus la vie est dure, plus il y a matière à pêcher les voix des mécontents. Ils avaient déjà voté contre la taxe Tobin, qui aurait « amélioré le capitalisme globalisé ». Alors, mettons les pieds dans le plat. La question, finalement, c’est : « Voulons-nous une Europe politique ? Voulons-nous que la souveraineté populaire s’exprime aussi à ce niveau, pour contrôler les marchés et la course aux profits, dorénavant déployés à l’échelle européenne ? » Pour certains, c’est impossible : il n’y a pas de peuple européen. Ils oublient que 1789, 1848, 1917, Mai 68, le rejet de la guerre d’Irak furent des mouvements politiques européens. Leur « non » masque mal la volonté d’en rester là, à Maastricht-Nice, à des États nationaux, face à un marché continental. C’est-à-dire à une politique impuissante : définition même du libéralisme ^2. Logique, de la part des « dirigeants du « non » » libéraux et sociaux-libéraux, du Financial Times à Laurent Fabius…

Dès 1992, des Verts (dont Dominique Voynet, Marie-Christine Blandin, René Dumont et moi-même) s’étaient opposés au traité de Maastricht parce qu’il unifiait économiquement l’Europe sans la doter d’un espace de contrôle politique. Les Verts furent le seul parti dont tous les élus rejetèrent les traités d’Amsterdam et de Nice. C’est pourquoi ils ont appelé à voter « oui » au TCE, pas en avant limité mais substantiel (démocratique, social, écologiste, féministe) par rapport à Maastricht-Nice : élargissement considérable du pouvoir des élus directs, en particulier sur l’agriculture, les OGM, les services publics, la Charte des droits fondamentaux, etc.

L’histoire ne repasse pas les plats, mais nous ne renonçons pas. Au nom des « oui » de gauche et des « non » vraiment de gauche (ceux qui veulent sortir de Maastricht-Nice), nous relevons le gant. Avec les Verts européens. L’eurodéputé Vert autrichien Johannes Voggenhuber a fait adopter par le Parlement un plan pour nous sortir de la nasse : associer les parlements nationaux au Parlement européen et, à partir de ce que les « oui » trouvaient de positif dans le TCE, en ajoutant ce que les « non » n’y trouvaient pas, réviser le projet de traité. Le vice-président Vert du Parlement, Gérard Onesta, a rédigé une proposition regroupant en une Constitution ce qui faisait consensus chez les « oui » et les « non » progressistes (la démocratisation, les droits fondamentaux, les services publics), et mettant à part ces fameuses politiques libérales héritées de Maastricht et de Nice, en prévoyant des procédures distinctes pour les réformer. Mais les ennemis de ce projet sont nombreux. L’extrême droite et les anti-européens de toujours, les libéraux et les sociaux-libéraux, ont désormais leur plan B, défendu par l’Allemande Angela Merkel et le Français Nicolas Sarkozy : concocter entre gouvernements quelques réformes de fonctionnement du Conseil des ministres, éliminer tout ce que le TCE contenait de social, de démocratique, d’écologiste ou de féministe.

La lutte entre les deux voies est aujourd’hui engagée, en dehors de la France, qui se tait. Elle sera sans doute tranchée par les élections de 2009. La grande majorité des pays qui ont voté « oui », que ce soit par la voie parlementaire ou par référendum (les Européens consultés par référendum ont voté « oui » à 55% !), est décidée à aller de l’avant. Car nous avons besoin d’Europe, d’une meilleure Europe, de plus d’Europe. Parce que la pollution n’a pas de frontières. Parce que l’effet de serre ne peut être jugulé que par des politiques au moins continentales. Parce que, pour éviter les délocalisations, les travailleurs de l’Europe de l’Est doivent avoir les mêmes droits fondamentaux que nous. Parce que seule une Europe démocratique pourra s’opposer à la dictature de l’agrobusiness qui veut nous imposer les OGM pour nourrir le bétail et faire rouler les voitures. Parce que le tiers monde a besoin de l’Europe face à l’hyperpuissance américaine.

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