Explication de vote

Denis Sieffert  • 19 avril 2007 abonné·es

À chaque tour sa peine. Il ne sera donc question ici que de notre premier passage par l’isoloir, ce dimanche 22 avril. Les conjectures sont ensuite trop nombreuses pour que l’on se risque à arrêter une position qui dépendrait de stratégies fines inspirées par les sondages. Ce que l’on peut affirmer dès maintenant, c’est évidemment notre souci, partagé sans doute avec l’immense majorité de nos lecteurs, de faire barrage à Le Pen et à Sarkozy. Nous nous efforcerons d’agir au mieux en ce sens quand nous connaîtrons le paysage hérité du premier tour. En attendant de probables retrouvailles le 6 mai, il me faut assumer les responsabilités de l’éditorialiste en prenant la précaution de dire que nous sommes loin d’être unanimes à Politis . Au sein de notre équipe comme ailleurs, l’indécision taraude les plus aguerris. Jamais cependant le doute n’entame les convictions profondes que nous avons en commun. Il résulte simplement d’une offre politique qui ne correspond pas à ce que nous espérions. Nous avons souhaité une candidature unitaire de la gauche antilibérale. Nous voulions un candidat qui donne une expression à cette partie de l’opinion qui avait voté « non », pour des raisons écologiques et sociales, au référendum européen de mai 2005. Nous en avons trois. Notre bonheur n’en a pas été multiplié pour autant. C’est une dynamique qui s’est brisée, provisoirement au moins.

Du coup, certains d’entre nous, comme certains de nos lecteurs, sont allés voir ailleurs. Du côté du PS, par dépit, et pour « voter utile », sans être persuadés toutefois que ce vote-là soit utile àquoi que ce soit. D’autres iront vers la candidate des Verts en faisant le pari que le vote européen en faveur du traité constitutionnel n’a pas pour autant transformé les Verts en « ultralibéraux ». D’autres, enfin, dont l’auteur de ces lignes, sont restés dans ce cercle antilibéral dessiné par le référendum européen. Mais alors commence un autre casse-tête : qui ? Marie-George Buffet ? Elle est redevenue rapidement ce qu’elle ne pouvait pas ne pas être, c’est-à-dire la candidate étiquetée du parti communiste. Ce qui à nos yeux n’est pas infamant, mais fâcheux, par exemple sur les questions écologistes abandonnées en « rase campagne ». Tout cela ne peut pas être, de toute façon, le label d’un nouveau départ de la gauche. Qui d’autre ? Olivier Besancenot ? Il fait une campagne d’une grande qualité. C’est solide, c’est cohérent, et c’est à bien des égards proche de nos idées. Mais la majorité de la LCR a fait le choix, bien avant le PC, de ne pas s’inscrire dans la logique unitaire des collectifs antilibéraux. Officiellement, il y avait une bonne raison politique à cela : l’organisation d’Alain Krivine ne veut pas faire alliance avec des gens (le PC ?) qui rejoindraient ensuite une nouvelle mouture de la gauche plurielle. Mais comment ne pas voir qu’en empêchant une autre gauche d’éclore la LCR a pris le risque de renvoyer certaines composantes de la gauche antilibérale dans le jeu d’alliance qu’elle prétendait précisément combattre ? C’est au contraire en offrant une alternative unitaire ambitieuse qu’on pouvait donner les moyens de l’indépendance par rapport au PS. En vérité, il y a derrière tout cela ce qu’on appelle, faute de mieux, des logiques d’appareils : la recomposition se fera autour de nous, ou elle ne se fera pas. Prenez deux appareils qui tiennent le même discours, et vous avez l’assurance d’un échec à perpétuité de toute tentative de faire bouger les lignes.

Pour ces raisons, la candidature de José Bové nous semble la mieux à même d’incarner l’espoir d’une recomposition. Précisément parce que lui n’est l’émanation d’aucune organisation et parce qu’il a fait le pari symbolique d’une « candidature collective » qui conteste le mode de scrutin de la présidentielle, hérité, rappelons-le, de Louis-Napoléon Bonaparte et de De Gaulle. Il est là pour dire que l’avenir de la gauche antilibérale est dans le dépassement des organisations traditionnelles, même si, bien entendu, cela doit se faire avec elles, avec leurs forces et leurs talents conjugués, et dans le respect de leur histoire. Et surtout pas en cédant à la démagogie antiparti. La candidature de José Bové, c’est une piste pour l’avenir. Voilà pour notre « explication de vote ». Comme on le voit, elle repose sur un raisonnement, pas sur des impressions de campagne, et encore moins sur des anathèmes ou des ressentiments. Il va sans dire que notre logique part du postulat que nous nous sentons largement en accord avec le discours du candidat altermondialiste. Un mot encore sur la façon dont Politis a rendu compte de la campagne. José Bové, Dominique Voynet, Olivier Besancenot et Ségolène Royal (cette semaine) ont été invités à s’exprimer dans nos colonnes. Marie-George Buffet aussi, qui n’a pas donné suite, se montrant en l’occurrence plus sectaire à notre encontre que nous à son égard. Nous pouvons marquer notre préférence sans jamais refuser le débat. Des débats ouverts et de bonne foi, la gauche en aura besoin dans un proche avenir. C’est le seul pronostic auquel on se hasardera ici. Il est vrai qu’il n’est pas très risqué.

Élargissons maintenant le champ pour contempler le paysage dans son ensemble. L’événement des derniers jours réside dans la réapparition de deux vieux francs-tireurs de la gauche libérale : Michel Rocard et Bernard Kouchner. Leurs invitations successives à l’adresse des socialistes pour qu’ils s’associent àFrançois Bayrou ne constituent pas une surprise. Cela fait belle lurette que ces deux personnages ne voient plus l’utilité d’un parti de gauche réellement social-démocrate et qu’ils plaident pour la formation d’un parti démocrate à l’américaine. Le pire, c’est qu’en disant cela, ils révèlent sans aucun doute la vérité profonde du parti socialiste d’aujourd’hui, qui n’est pas toujours très à l’aise pour se différencier de François Bayrou. La perfidie est d’avoir vendu la mèche avant le premier tour… Rappelons que Daniel Cohn-Bendit y était déjà allé, il y a quelques semaines, de son couplet « centre-gauche-centre droit, unissez-vous ! ». Sans parler des rumeurs mollement démenties de contacts entre les proches de Dominique Strauss-Kahn et le candidat centriste. Il existe des logiques politiques auxquelles le résultat de dimanche peut donner une soudaine actualité. Si ces appels au rapprochement ont pris au cours des dernières semaines quelque consistance, c’est que toute la campagne de la candidate socialiste y invite. Entre la « gauchisation » sans doute tactique du centriste Bayrou et la « droitisation » politique et culturelle du PS, il était fatal que l’on se trouve à naviguer dans les mêmes eaux, au bord à bord. À elle seule, cette perspective suffit à justifier une recomposition de la gauche.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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