Formules gagnantes

Jean-Claude Renard  • 19 avril 2007 abonné·es

En février dernier, TF1, en cador de la part d’audience, atteignait la barre des sept millions de téléspectateurs présents devant « J’ai une question à vous poser », avec Nicolas Sarkozy comme invité. À peine plus tard, dans le même magazine, Ségolène Royal battait tous les records de magazine politique en attirant à l’écran près de huit millions de téléspectateurs. Voilà de quoi répondre à ceux qui pensent que les Français ne s’intéressent pas à la politique.

Il est une autre messe, plus éclatante encore, plus attendue et suivie, celle du débat entre les deux tours de l’élection présidentielle. Tel est l’objet du travail réalisé par Hugues Nancy, à partir des archives de l’Institut national de l’audiovisuel, Présidentielles : petite histoire des duels télévisés. Une mine d’or bien trop courte, richement alimentée (on s’en doute), parfois commentée par Michèle Cotta ou Alain Duhamel (ils étaient alors aux premières loges), illuminée aussi par le discours pédagogique de Serge Moati (lui aussi aux premières loges, mais dans une position et un rôle bien plus intéressants). Un duel vu des coulisses, donc.

On s’en doute encore, ce jeu d’archives est l’occasion de voir, de revoir et d’entendre à nouveau quelques formules, cinglantes, lapidaires, des formules que n’aurait pas reniées un Talleyrand pleine verve, moins encore l’Arétin quand il s’agit d’occire l’adversaire. « Vous n’avez pas le monopole du coeur, monsieur Mitterrand » ; « Vous avez raison, monsieur le Premier ministre » ; « Dans les yeux [la version], je la conteste » ; ou encore : « Vous me reprochiez, il y a sept ans, d’être l’homme du passé, il est curieux que, dans l’intervalle, vous soyez devenu l’homme du passif ! » Le duel télé : un jeu de fins bretteurs. Où l’on observe un autre adage : qui perd gagne.

Le fameux débat est né en 1974, dans une campagne improvisée, raccourcie, menée dans la gravité, au lendemain de la mort de Georges Pompidou. C’est là comme une finale, et la télé franchit une étape importante dans la dramatisation du débat politique. Giscard occupe une posture de séduction, Mitterrand vit mal cet objectif pointé sur lui et rate son débat devant vingt-cinq millions de téléspectateurs. L’élection ne se joue peut-être pas ici, mais elle se déroule devant eux.

En 1981, Mitterrand a compris. La télé, c’est sérieux. Il fait appel à Jacques Séguéla et Serge Moati. Avec un tel média, il ne s’agit pas de travailler « sur l’opinion publique mais sur l’affection publique », juge le premier. Le second a un rôle qu’on ne soupçonne pas : la place des caméras, le rôle des plans, plein cadre ou éloignés. Parce qu’« un plan de coupe peut ridiculiser l’adversaire », souligne Moati. Qui aura même l’intelligence de faire tailler sur mesure la table du débat Mitterrand-Chirac, de manière à maintenir l’adversaire à une distance suffisante pour éviter toute gêne (côté taille, Chirac faisait tout de même deux têtes de plus que Mitterrand).

En 1988, le vieux lion rappelle son duo gagnant. Et lamine son Premier ministre dans un teigneux débat. Lequel Chirac domine les torts et travers de la télé pour dominer Jospin, incapable de fendre son armure, sept ans plus tard… En 2002, Chirac refusait le face-à-face avec Le Pen. Voilà donc douze ans que la télé est privée de duel. Et l’on ne sait toujours pas s’il est décisif dans la bataille. En tout cas, il y contribue.

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