« La question noire recouvre des réalités diverses »

Christiane Taubira, députée PRG de Guyane
et déléguée
à l’expression républicaine auprès de Ségolène Royal, admet une volonté de regroupement pour que
« la question noire » soit prise en compte.
Pas plus.

Michel Soudais  • 12 avril 2007 abonné·es

En 2002, première candidate noire à l’élection présidentielle, vous avez fait de bons scores dans les DOM-TOM et les banlieues. Peut-on parler d’un vote communautaire ?

Christiane Taubira : Non. Si j’ai eu deux gros bataillons d’électeurs là où vous dites, j’en ai eu aussi au coeur des grandes villes : des personnes de profession libérale, universitaires, chercheurs… Cela traduisait la reconnaissance d’un idéal républicain que j’ai porté et qui ne dissimulait pas ses choix. Non un vote identitaire. L’outre-mer n’a pas voté à 82 % pour moi, mais à 51 % en Guyane, 37 % en Guadeloupe et 27 % en Martinique. C’étaient de beaux scores, mais il y a l’affinité et l’identification avec le projet et les idées. D’ailleurs, en France, les ressortissants d’outre-mer n’ont pas massivement voté pour moi. Certains ont continué à voter RPR, d’autres PS. Même s’il y avait un élan, qui a fait qu’on allait m’écouter un peu plus facilement, ou un geste du coeur, on ne peut pas dire que la tendance lourde du vote ait été dictée par une identification communautaire ou culturelle.

Les choses n’ont-elles pas changé quand on voit, dans un sondage Ifop pour « Jeune Afrique », 70 % des électeurs originaires d’Afrique subsaharienne manifester l’intention de voter pour Ségolène Royal ?

Je ne crois pas plus que ce soit un vote communautaire. Ségolène Royal a dit des choses très précises dans la lutte contre la corruption ­ ce qu’aucun autre candidat n’a dit ­, elle ne porte pas l’héritage d’un parti qui s’est commis avec des chefs d’État africains qui ont écrasé des mouvements démocratiques, leurs oppositions, et sont suspectés d’avoir au moins des comptes en banque à l’étranger, etc. Elle a développé des positions très claires et très précises sur le codéveloppement, et affiché sa volonté de solidarité entre le Nord et le Sud. Chaque fois qu’elle s’est exprimée sur l’immigration, elle l’a liée à la réduction des inégalités et des injustices entre les pays riches et les pays pauvres. Donc, ces personnes-là entendent de Ségolène Royal des choses essentielles pour elles, mais sur une base politique et non pas sur une base identitaire.

Néanmoins, on a vu apparaître le Conseil représentatif des associations noires (Cran). Son objectif, avec lequel vous n’êtes pas d’accord, n’est-il pas précisément d’organiser une communauté, y compris sur le terrain politique ?

Même s’il y a peut-être une intention, en pratique ce n’est pas le cas. À la tête du Cran, il y a un UDF et un proche du PS, entre autres. Donc les clivages politiques fonctionnent. D’autre part, je ne pense pas que l’enracinement social du Cran rende possible un éventuel projet de cette nature. Ensuite, autant je ne crois pas qu’il y ait un vote communautaire, autant je pense qu’il y a une volonté d’exister collectivement qui peut pousser les gens à se regrouper. C’est bien pour ça que l’on trouve dans les manifestations du Cran des personnes de sensibilités politiques très différentes. Elles estiment qu’elles doivent être là et faire masse pour imposer la prise en considération d’un certain nombre de questions : la lutte contre les discriminations, le fait que des pratiques (les contrôles au faciès, la discrimination à l’emploi, le regroupement du logement sur des bases d’apparence, etc.) excluent systématiquement de la communauté nationale… Elles veulent faire prendre en compte ces problématiques-là dans le débat public français.

Il n’y a pas de vote communautaire au sens sociologique avec des communautés constituées qui s’identifient à un candidat par une projection identitaire, et obéissent à des consignes véhiculées par des médias communautaires organisés. Mais qu’il y ait une dynamique de regroupement pour bien prendre en compte ce qu’on appelle « la question noire », c’est incontestable. Et la question noire elle-même va se fragmenter quand on commencera à la traiter. Parce que la question des ressortissants d’outre-mer n’est pas celle des ressortissants d’Afrique, ni celle des jeunes de parents d’outre-mer ou de parents africains nés sur le territoire. Il y a parfois même des animosités entre les uns et les autres. On ne peut donc pas englober dans une question noire des réalités culturelles, humaines et historiques extrêmement diverses.

Politique
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