Le système Minc

Ancien directeur adjoint de la rédaction du « Monde », Laurent Mauduit propose une enquête sur l’éminence grise du capitalisme français.

Denis Sieffert  • 26 avril 2007 abonné·es

Mais qui est donc vraiment ce personnage délicieusement courtois, au visage juvénile, toujours prompt à analyser sur un plateau de télévision les grandes mutations du monde ? Essayiste à succès, prospectiviste, expert en réussites, entrepreneur, conseiller du Prince, ami de tous les financiers et industriels de ce pays et président du conseil de surveillance du Monde , Alain Minc est, c’est le moins que l’on puisse dire, un homme public. On sait peu de chose cependant de ses activités. L’enquête menée par le journaliste Laurent Mauduit jette une lumière crue sur la face cachée de l’éminence grise du capitalisme français.

L’intérêt de ce travail réside en partie dans la propre expérience de l’auteur. Journaliste au Monde jusqu’à l’automne dernier, il y fut un temps directeur adjoint de la rédaction. Car c’est d’abord l’histoire d’une censure qu’il raconte. En mars 2006, Mauduit a vent d’une information selon laquelle le groupe Caisse d’épargne conduirait une négociation secrète avec les Banques populaires en vue de fusionner leurs activités de banques d’investissement dans un ensemble baptisé Natixis. L’affaire menace de faire grand bruit parce qu’un tel mariage constituerait un viol du pacte d’actionnaires qui lie les Caisses d’épargne à la Caisse nationale des dépôts et consignations. Et, accessoirement, il y a derrière un négoce financier, une collision entre, d’un côté, l’intérêt privé et, de l’autre, la rémunération de l’épargne populaire et le financement du logement social.

Après un premier article difficilement publié, Laurent Mauduit se heurte pour le second à une obstruction de sa hiérarchie. C’est que le président du conseil de surveillance du Monde fut aussi le conseiller du président des Caisses d’épargne et qu’il oeuvre dans l’ombre pour la réussite de l’opération. Ce conflit amènera Mauduit à quitter le Monde . Il l’amènera aussi à prolonger l’enquête sur les activités d’Alain Minc. C’est cet imbroglio d’intérêts croisés que le journaliste démêlera ensuite pour nous donner ce livre qui brosse aussi le portrait d’un capitalisme financier « hystérique » dans sa soif de profit. Au coeur des bonnes affaires, racontées ici par le menu, il y a presque toujours Alain Minc, l’ami des plus grosses fortunes, François Pinault et Vincent Bolloré notamment. Mais aussi Édouard de Rothschild. Ce qui fait que l’ombre du président du conseil de surveillance du Monde plane en permanence sur le destin de Libération . Les « petits conseils » de l’ami, nous informe Mauduit, sont généralement facturés entre 150 000 et 200 000 euros l’année. Ou encore 1% des plus-values réalisées par Bolloré, même dans les opérations où le conseiller n’est pas intervenu. Mais, Alain Minc, c’est aussi l’art de cultiver les amitiés politiques et médiatiques. Son agenda ressemble au Who’s who de la presse et de la télévision. D’abord proche de la Fondation Saint-Simon, creuset de la gauche libérale, puis d’Édouard Balladur, il est l’un des tout premiers que consulte Nicolas Sarkozy quand celui-ci arrive à Bercy en 2004.

N’allons pas plus loin ici et renvoyons à cette plongée passionnante à laquelle nous invite Mauduit dans un capitalisme français financiarisé à l’anglo-saxonne, d’autant plus impatient qu’il a triomphé tardivement. Laissons provisoirement le mot de la fin à un ami cher d’Alain Minc : « Je connais peu de gens qui aient un sens de l’éthique aussi strict, aussi rigide que lui. Il a un goût non seulement éthique mais quasi esthétique pour les principes. » Le brevet de vertu est signé Bernard-Henri Lévy. Étonnant, non ?

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