L’ordre juste au Proche-Orient

Denis Sieffert  • 5 avril 2007 abonné·es

Et si on parlait d’autre chose que de la présidentielle ? Si on parlait de politique internationale ? Dit comme ça, la proposition peut paraître absurde. C’est pourtant le reflet de cette pâle campagne. Nos candidats, ceux en tout cas qui focalisent l’attention des grands médias, gardent pour eux, jalousement, leurs envolées géopolitiques. Rien sur la politique étrangère. Même ­ et peut-être surtout ­ quand il s’agit de ce Proche-Orient dont les secousses n’en finissent pas de propager leurs ondes dans notre société. Seuls José Bové et les candidats de la gauche antilibérale se mouillent dans cette affaire plus passionnelle que la plupart des débats de politique intérieure. Que pense Ségolène Royal de l’offre de paix de la Ligue arabe ? A-t-on le droit de savoir ? Nicolas Sarkozy, on l’imagine, en pense ce qu’en pense George W. Bush : que c’est un mauvais moment à passer et qu’il faut habilement accompagner la proposition sans trop donner l’impression de s’y opposer. On en est réduit aux hypothèses. Mais, avant de laisser libre cours à notre scepticisme, voyons les faits. La Ligue arabe, sous l’impulsion du roi Abdallah d’Arabie Saoudite (et non de Jordanie, comme l’a noté Ségolène Royal dans Libé ), vient donc de renouveler son offre de règlement global du conflit israélo-palestinien. Il s’agit de la reprise pure et simple de la proposition balayée d’un revers de main par Israël au mois de mars 2002. Mais l’histoire n’étant pas un éternel recommencement, il n’est pas interdit de croire qu’Israël et les États-Unis réagiront cette fois différemment. D’abord parce que la montée en puissance de l’Iran peut favoriser quelques convergences stratégiques entre l’État hébreu et l’héritier des Saoud. Va donc pour un optimisme raisonné.

Sur le papier, l’initiative arabe repose sur une idée simple. Il s’agit, pour Israël, de se retirer des territoires palestiniens conquis militairement au mois de juin 1967 ­ Jérusalem-Est compris ­, c’est-à-dire de démanteler les colonies installées depuis lors, et de reconnaître en Cisjordanie et à Gaza un État palestinien souverain. En échange de quoi, tous les pays arabes reconnaîtraient l’État hébreu et normaliseraient leurs relations avec lui. C’est ni plus ni moins le solde de soixante ans de guerres et de conflits. La principale vertu du plan réside dans ce caractère global et dans sa simplicité. Ses inspirateurs viennent nous rappeler, contre tous les brouilleurs de pistes qui s’ingénient à en faire une guerre de religions ou un choc de civilisations (dont la cause principale serait évidemment le Hamas, lequel n’existait pas il y a vingt ans), que le conflit le plus préjudiciable à l’équilibre du monde est d’abord territorial, ou, pour le dire autrement, colonial. Et comme ilya belle lurette (depuis 1988) que les Palestiniens ont renoncé aux territoires qui correspondent à l’actuel Israël, il ne reste plus à Israël qu’à renoncer aux territoires qui vont des frontières de 1967 aux rives du Jourdain. Et nous aurons deux pays dans des « frontières sûres et reconnues » , comme disent en vain les innombrables résolutions des Nations unies. Le tout consacré par l’engagement des pays arabes. L’Iran de M. Ahmadinejad s’en trouverait isolé, privé qui plus est de son principal instrument de propagande intérieure : la vocifération anti-israélienne.

Mais alors pourquoi ce scepticisme ? Parce que, depuis au moins vingt ans, la politique israélienne tient en un mot : colonisation. Par la guerre ou par la paix, par la force ou en tirant profit des accords internationaux qui bercent d’illusions les opinions.

Rappelons que pendant la période d’Oslo (1993-2000) le nombre des colons en Cisjordanie a quasiment doublé. Et qu’on ne doit pas chercher ailleurs les causes de la deuxième Intifada ni de la montée du Hamas. Peut-on dans ces conditions rêver d’un changement radical de politique ? La peur de l’Iran constitue-t-elle un ressort à ce point décisif ? Ou bien M. Olmert, affaibli par son échec militaire au mois d’août contre le Hezbollah, va-t-il être tenté de faire le dos rond comme tant de ses prédécesseurs l’ont fait chaque fois que l’initiative leur échappait ? Accueillant lundi la chancelière allemande, Angela Merkel, il s’est enthousiasmé à l’idée d’une rencontre avec les chefs d’État arabes. Lapoignée de main avec l’héritier des Saoud pourrait devenir la finalité de l’opération. Israël aurait une « normalisation » de façade avec le monde arabe. Et les Palestiniens, pas un lopin de terre de plus. Et nous, nous aurions jusque dans nos banlieues les effets toujours désastreux de la plus vieille injustice du monde. Qu’en pensent nos candidats ? Et que nous dit l’ordre juste ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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