« Peser sur le politique »

La sociologue Virginie Diaz Pedregal analyse l’évolution du commerce équitable chez les producteurs, et estime
que son impact est difficile à mesurer.

Thierry Brun  • 26 avril 2007 abonné·es

Il est rare de lire une enquête de terrain sur l’impact du commerce équitable au Sud. Alors que la septième Quinzaine se prépare, comment analysez-vous les effets de ce négoce sur les structures que vous avez étudiées ?

Virginie Diaz Pedregal : Discerner les effets du commerce équitable sur les organisations de producteurs est complexe. Il est en effet difficile d’en mesurer l’impact précis en raison de la multiplicité des facteurs sur le terrain (évolution des marchés mondiaux, des politiques gouvernementales, nouvelles actions d’ONG, etc.). Néanmoins, son succès dépend grandement du milieu coopératif ou associatif dans lequel il s’implante. Par exemple, les organisations de producteurs ont besoin d’être déjà solidement constituées pour bénéficier des flux financiers générés par le commerce équitable. Pour les structures mal gérées, sans vision de moyen et long termes, le commerce équitable devient davantage un risque qu’une opportunité de développement.

Les stratégies de commercialisation sont une préoccupation au Nord. Les producteurs du Sud ont-ils mené une réflexion sur les modes de production de masse ?

Avec l’apparition, dans les années 1990, du circuit labellisé, de type Max Havelaar, les producteurs ont été progressivement contraints de se montrer plus actifs dans la recherche d’acheteurs internationaux. Les stratégies de commercialisation se sont donc développées. Les organisations les plus « avancées » ont choisi de se professionnaliser en recrutant des spécialistes, afin de capter l’attention des acheteurs sur un marché international très compétitif. Si la question des modes de production de masse se pose, il ne faut pas oublier que les producteurs membres d’une organisation vendant tout ou partie de leurs articles aux conditions du commerce équitable, sont pour la quasi-totalité des « petits producteurs », c’est-à-dire familiaux, n’employant pas de main-d’oeuvre salariée de façon permanente. Le cas des plantations, dans lesquelles les employés sont les bénéficiaires du commerce équitable, semble plus discutable à ce sujet.

L’imposition de normes occidentales est aussi un enjeu pour les pays riches et les industriels convoitant l’image positive du commerce équitable. Cela est-il un sujet de réflexion pour les producteurs, déjà très sollicités par des marques, labels et garanties ?

Il est en effet difficile pour des producteurs de comprendre les différences exactes entre les marques, les labels et les garanties des associations et entreprises du Nord. Certains savent à peine ce qu’est le commerce équitable, même après plusieurs années de vente. C’est pourquoi la tendance actuelle des organisations est à la professionnalisation, notamment pour des postes requérant des compétences techniques pointues comme ceux de comptables ou de gérants de commercialisation. Il est certain que ces derniers aimeraient vendre l’ensemble de leur production aux conditions du commerce équitable. Néanmoins, ce marché étant limité, leur approche est pragmatique. Ils n’hésitent donc pas à demander tous les certificats et labels possibles pour atteindre le plus grand nombre de marchés.

Vous avez aussi abordé les approches politiques du commerce équitable dans votre livre. Quelle est votre conclusion à ce sujet ?

Aujourd’hui, la ligne des Magasins du monde, spécialisés dans le commerce équitable, est de peser d’emblée sur le politique en informant les consommateurs de la réalité du marché international pour les pays du Sud, et en occupant une fonction de plaidoyer auprès des instances décisionnelles du Nord. Max Havelaar et les partisans de la labellisation ont choisi une approche résolument économique, afin d’avoir plus de poids pour les négociations politiques qu’ils mènent en parallèle. C’est une autre manière d’aborder la situation. En revanche, les adeptes d’une approche sociopolitique des relations internationales reprochent au commerce équitable de ne pas changer fondamentalement le rapport de force entre pays producteurs et pays consommateurs. Le pouvoir et la richesse restent du côté du Nord. Force est de constater que, si le commerce équitable améliore indéniablement le niveau de vie de plusieurs centaines de milliers de producteurs défavorisés, il reste extrêmement marginal dans les échanges commerciaux mondiaux. À moins d’élargir considérablement sa définition, rien ne laisse présager qu’il devienne le vecteur d’un changement radical dans la façon de conduire les affaires humaines.

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