Ségolène Royal : « Impulser une éthique de la protection de l’environnement »

Claude-Marie Vadrot  • 19 avril 2007 abonné·es

Quelle sera la première mesure de votre futur gouvernement dans le domaine de l’environnement ?

Ségolène Royal : Je veillerai à la constitution d’un gouvernement intégrant un vice-Premier ministre chargé du développement durable et de l’aménagement du territoire et un ministre de l’Environnement. J’engagerai le débat public que j’ai promis pour définir la politique énergétique que notre pays devra adopter pour lutter efficacement contre le changement climatique, une politique fondée sur les économies d’énergie, l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. Enfin, j’instaurerai un moratoire sur la culture d’OGM en plein champ pour permettre un débat serein, transparent, approfondi, afin de définir ce que doit être notre politique en la matière sur le long terme.

Plutôt que de créer un vice-Premier ministre chargé de l’environnement, dont les attributions seront difficiles à définir, pourquoi ne pas nommer un ministre de l’Écologie, dont la seule tâche, au cours de votre mandat, serait de faire appliquer les lois françaises et les directives européennes déjà existantes ?

Bien évidemment il est essentiel, en matière d’environnement comme dans d’autres domaines, que l’état soit exemplaire et applique de manière rigoureuse les lois françaises et les directives européennes. Cependant, pour faire face à la crise écologique globale, nous devrons aller bien au-delà de la seule application des lois existantes. Nous devons engager une véritable transformation de notre projet de société, une transformation qui mette au même rang d’importance la relance durable de l’économie, la protection sociale et l’excellence environnementale. Nous devons promouvoir une réflexion de fond sur la qualité de la croissance. Si la croissance reste le moteur de notre société, nous ne pouvons continuer à alimenter ce moteur en prélevant les ressources naturelles au-delà de leur capacité de régénération. Nous ne pouvons continuer à le faire fonctionner en accumulant des polluants et des déchets au-delà des capacités d’absorption de notre planète. Nous devons donc redéfinir nos modes de production et de consommation pour offrir les biens et les services dont nos concitoyens ont besoin, en utilisant moins d’énergie, d’eau et de matière première. Cette économie de sobriété sera aussi un facteur de performance pour nos entreprises.
Pour encourager ces transitions, nous mettrons en place un vice-Premier ministre chargé du développement durable (et non de l’écologie comme vous l’évoquez). Il aura en charge l’analyse des conséquences à long terme des propositions faites par les différents ministères et veillera à promouvoir une approche transversale pour mettre en synergie ces différentes propositions. Enfin, il sera chargé de l’aménagement du territoire, tant les décisions dans ce domaine conditionnent la structuration d’une société plus ou moins durable. Dans cette configuration, le ministère de l’Environnement sera conservé et son périmètre sera précisé, en prenant en compte les priorités en matière d’excellence environnementale : lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, prévention des pollutions pour limiter l’impact sur la santé publique.

Quelles mesures politiques et techniques pourraient ramener la population française vers les enquêtes publiques aujourd’hui très souvent désertées ? N’est-ce pas là une forme de débat participatif tel que vous le préconisez ?

Je suis très attachée, vous le savez, à la démocratie participative. Parce que la promotion du développement durable impose de négocier des choix dont certains seront difficiles, il est essentiel de redynamiser la pratique démocratique. Je veux encourager un renouveau de la concertation, la transparence de l’information, une participation citoyenne renforcée, une responsabilité partagée en matière d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques. Je veux établir un nouveau contrat entre les citoyens et les dirigeants du pays, contrat dans lequel le rôle des collectivités territoriales sera mieux valorisé.
Je suis intimement persuadée que les citoyens sont avides de participation et de contribution aux choix qui leur sont proposés. Ils sont souvent déçus, et je comprends cette déception : ils ont l’impression que les enquêtes publiques et les débats citoyens ne servent à rien parce que la décision politique a été prise « avant ». C’est en restaurant la qualité et la transparence des mécanismes de décisions que nous pourrons valoriser cet intérêt des citoyens pour le débat. C’est aussi en imposant aux décideurs d’expliciter leur décision et de rendre compte que nous redonnerons tout son sens à la démocratie.

Mettrez-vous en oeuvre, et comment, un véritable plan de sauvetage des cours d’eau français, tous menacés par la pollution ?

La qualité de nos eaux de surface est effectivement préoccupante. La loi sur l’eau adoptée en décembre 2006 a mis presque dix ans pour voir le jour, et pourtant, elle est insuffisante sur bien des aspects, en particulier pour ce qui concerne le principe « pollueur-payeur ». Je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire d’engager une nouvelle réforme de cette loi sur l’eau. Peut-être pourrons-nous corriger ses faiblesses en travaillant sur ses modalités de mise en oeuvre. Je souhaite, en tout état de cause, une application stricte du principe « pollueur-payeur », et je veux donner la priorité à la prévention des pollutions. Ainsi, je propose un programme national de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce plan interdira définitivement les substances les plus dangereuses (CMR : cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques). Il engagera des actions concrètes pour une réduction de 25 % de la consommation de principe actif d’ici 2012 (par rapport à 2007).
Plus généralement, c’est en renforçant les contrôles, en veillant à une application stricte des lois et des règlements, et en sanctionnant sévèrement les manquements, que nous pourrons progressivement améliorer la situation de nos cours d’eau mais aussi de nos nappes phréatiques.

Pensez vous pouvoir garantir la pérennité et la préservation, sous le contrôle de l’État, des réserves naturelles, des parcs nationaux, des espèces protégées, de la loi Littoral et de la loi Montagne ?

Je veux faire de la France le pays de l’excellence environnementale. Cela implique une exemplarité de l’État pour tout ce qui concerne le respect des lois de protection de l’environnement et leur mise en oeuvre rigoureuse. Cela signifie que nos administrations devront faire les efforts nécessaires pour contrôler cette mise en oeuvre en toute indépendance des pouvoirs locaux, qui, trop souvent, souhaiteraient une application assouplie de certains textes.
Il est également nécessaire de veiller au respect de l’intégrité des lois protégeant l’environnement. Je suis par exemple choquée de l’amendement voté en février 2005 par l’UMP et l’UDF pour modifier certaines dispositions de la loi Littoral concernant les lacs de montagne. Je suis très attaché à la préservation des écosystèmes particuliers qui font la richesse de notre pays. J’ai, dans la région que je préside, oeuvré avec les acteurs locaux, les départements et les Pays-de-Loire voisins pour redonner au Marais poitevin le statut de Parc naturel régional qu’il avait perdu du fait de l’extension mal contrôlée de la culture intensive du maïs. Aussi, je proposerai, en coordination avec les collectivités locales et les associations de protection de l’environnement, la création d’un réseau écologique national, s’appuyant sur les espaces protégés existants (parcs nationaux, réserves naturelles, sites Natura 2000), mettant en avant l’approche par écosystème, en m’assurant que ce réseau préserve des espaces suffisamment larges pour protéger efficacement la biodiversité sur notre territoire. Je veux impulser du plus haut de l’État une éthique de la protection de l’environnement et du respect de nos territoires. Je serai très ferme sur ce sujet.

Rétablirez-vous, par la loi, un équilibre entre les chasseurs et les protecteurs de la nature ?

Non, je ne souhaite pas proposer une nouvelle loi sur la chasse, car je considère que la loi du 26 juillet 2000 définit de manière correcte les grands principes de gestion et d’organisation de cette activité. Je demanderai aux ministres concernés de dresser le bilan des dispositions réglementaires existantes. Je leur demanderai aussi, si besoin est, de proposer en concertation avec tous les acteurs concernés par la gestion de l’espace rural, notamment les fédérations de chasseurs et les associations de protection de l’environnement, les aménagements nécessaires pour protéger la biodiversité de notre territoire et préserver cette activité de loisir. Je souhaite que le débat soit privilégié entre ces acteurs pour définir les conditions d’évaluation et de gestion des ressources cynégétiques dans la plus grande transparence, en s’appuyant notamment sur les données de l’Observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats.

Ne pensez-vous pas que l’utilisation généralisée de l’expression «développement durable» est un moyen commode de dissimuler la plupart des problèmes d’environnement et de protection de la nature ?

Il est certain que l’expression est très galvaudée. Il n’en demeure pas moins que c’est un concept fort. Le projet que je propose pour la France est un véritable projet de développement durable liant la relance de l’économie, la reconstruction du dialogue social, l’excellence environnementale et la réforme de la démocratie pour favoriser la participation et la responsabilisation de tous les acteurs de la société. Cet engagement ne relève pas d’une réponse circonstancielle à un effet de mode. Il est une conviction profonde. J’ai prouvé en Poitou-Charentes qu’il est possible d’engager une dynamique territoriale mettant en avant l’impératif de développement durable, qui donne une égale importance à l’économie, au social, à l’environnement et à la dynamique démocratique.

Comment la France peut-elle donner des leçons aux pays du Sud sur la préservation de la faune et des ressources alors qu’elle ne parvient même pas à sauver ses ours et ses plus beaux espaces forestiers ?

C’est vrai que nous devons redoubler d’efforts pour protéger les milieux fragiles en France et dans les DOM-TOM. Nous devons aussi engager avec nos partenaires européens une révision des politiques de pêche et d’exploitation forestière en Europe et dans le monde. Nous gagnerons en efficacité en mettant en cohérence nos politiques de coopération avec les pays en développement et nos ambitions en matière d’excellence environnementale. Pour renforcer cette cohérence je propose de réformer le code des marchés publics, afin d’imposer comme clause préférentielle la performance environnementale, en intégrant des critères de provenance des ressources naturelles.

La France ne devrait-elle pas prendre la tête d’un mouvement international pour faire cesser ou limiter les conséquences des guerres et des guérillas sur la nature et l’environnement ?

Faire de la France le pays de l’excellence environnementale, c’est aussi promouvoir des politiques ambitieuses de protection de l’environnement et de promotion du développement durable en Europe et dans le monde. Nous devons être exemplaires en matière d’environnement sur notre territoire et dans nos relations diplomatiques et commerciales avec le reste du monde. Pour cela, nous devrons rattraper le retard pris en matière de ratification des conventions et accords internationaux sur l’environnement, et de transcription des directives et règlements européens.
Nous devons aussi promouvoir une nouvelle gouvernance internationale plaçant en priorité le respect de normes sociales et environnementales. Je propose que la France continue à promouvoir la création d’une Organisation mondiale de l’environnement ayant prééminence, en matière de règles environnementales, sur les décisions de l’OMC, dotée d’un réel pouvoir de sanction en étant équipée d’un organisme de règlement des différends, et capable de soutenir des projets spécifiques dans les pays en développement.

Propos recueillis par Claude-Marie Vadrot pour l’association des Journalistes pour la nature et l’écologie (JNE)

La version complète de cet entretien est disponible sur le site www.JNE-asso.org

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