À gauche !

Selon Patrick Brody et Karl Ghazi, syndicalistes, la gauche est fautive de n’avoir pas défendu de propositions en adéquation avec les attentes sociales.
Patrick Brody  et  Karl Ghazi  • 31 mai 2007
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Ainsi, ce que nous craignions, ce que nous redoutions très fort, s’est produit… inexorablement ! Ce 6 mai 2007 restera dans les mémoires comme la triste chronique d’une défaite annoncée. En effet, si Nicolas Sarkozy est bien l’élu de la France de tout en haut, du CAC 40, du Medef qui pavoise, il l’est aussi d’une partie de celle d’en bas, de tout en bas. Et de cela, la gauche est fautive. Fautive d’avoir emprunté le discours de nos adversaires. Fautive de ne pas avoir eu des propositions en adéquation avec les attentes sociales. Fautive de ne pas avoir su mobiliser la population sur ses préoccupations quotidiennes pour y apporter des solutions. Plus grave encore, fautive d’avoir cédé sur ses bases, ses références.

Comment a-t-on pu laisser se substituer à la lutte des classes l’affrontement entre « feignants fraudeurs », d’une part, et « travailleurs qui se lèvent tôt », d’autre part ? Si Nicolas Sarkozy a gagné, c’est bien qu’idéologiquement la messe était dite, et qu’il a su profiter des absences de la gauche sur le social. Celle-ci n’a pas su, pas voulu, lui opposer une démarche visant à rassembler les catégories de la population victimes des dégâts du capitalisme réellement existant. Qu’a-t-on opposé au « travailler plus pour gagner plus » ? Le Smic à 1500 euros brut en cinq ans, c’est à dire moins que sa progression lors des cinq dernières années ! Qu’a-t-on opposé à la suppression des 35 heures ? Un discours cacophonique, incompréhensible pour les salariés, où il ressortait tout de même que les 35 heures étaient responsables de nombre de nos difficultés ! Qu’a-t-on opposé concrètement à la flexibilité et à la précarité en termes de législation du travail ? Rien, désespérément rien. Qu’a-t-on opposé aux licenciements boursiers et aux entreprises qui ont distribué des profits records aux actionnaires ? Rien de concret.

Et, malheureusement, nous pourrions égrener pendant des lignes et des lignes le vide sidéral de la gauche sur ce qui devrait faire sa raison d’exister. Historiquement, la gauche n’arrive au pouvoir qu’avec un programme fort sur le social, bien identifié par la population. D’ailleurs, légitimement, elle en profite à certaines occasions pour aller encore plus loin ! C’est sa vocation, sa raison d’être ! Si elle ne joue pas ce rôle-là, autant aller voir ailleurs. C’est ce qui s’est produit. Désormais, nous sommes à la croisée des chemins. Des personnalités « éminentes », la plupart du temps extérieures au monde du travail, nous rabâchent depuis au moins deux décennies que si la gauche a perdu, c’est qu’elle n’a pas su changer, se moderniser, se « blairiser ».

Nous pensons précisément le contraire. Car, si gagner pour la gauche doit signifier faire la politique de Blair, de Clinton, ou même de Prodi, nous n’en voyons pas l’intérêt. L’enjeu de la prise du pouvoir, que nous ne refusons pas, est, pour nous, de répondre aux aspirations et aux souffrances des travailleurs, en mettant en place des politiques de transformations sociales. Bref, de ne pas renoncer à changer la société, de ne pas renoncer au progrès social, à la justice sociale et à l’égalité sociale, de ne pas renoncer aux réformes qui améliorent le quotidien, dans le travail et dans la cité et la vie du plus grand nombre. Nous voulons une gauche qui soit de gauche, et qui l’assume, autant que Nicolas Sarkozy assume d’être de droite. Nous pensons que la cause de la défaite du 6 mai, c’est de n’avoir pas défendu nos fondamentaux, de ne pas avoir eu de programme, comme Sarkozy avait le sien, permettant au monde du travail de s’y retrouver, de s’identifier.

Face à ce qui ressemble à un désastre, et parce que le pire est peut-être à venir, nous appelons modestement toutes celles et tous ceux qui veulent reconstruire une force à gauche, par delà les références partisanes, par-delà les appareils, mais aussi avec eux ­ pourquoi pas ? Il le faudrait ! ­, à s’unir : dans la discussion et l’échange, pour, à terme, redéfinir un programme de gauche dans la France et l’Europe du XXIe siècle, qui sont dominées par les logiques financières du capitalisme. Nous affirmons que, dans ce rassemblement, nous n’invitons pas tous ceux qui nous proposent d’aller encore plus loin dans les dérives droitières. Leur place n’est plus à nos côtés.

Afin que la gauche ne soit plus l’artisan de ces échecs, une fois pour toutes, clarifions les choses, car nous en avons besoin. Pour les salariés, c’est urgent. C’est urgent pour la démocratie aussi.

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