Dans les champs de pétrole

Planifiant la création d’immenses plantations, l’Indonésie ambitionne de devenir un acteur majeur de la production d’agrodiesel.

Patrick Piro  et  Natalie Gandais-Riollet  • 31 mai 2007 abonné·es

Depuis plus de vingt ans, la forêt tropicale indonésienne est régulièrement en proie à des incendies. La saison 1997 a été particulièrement dramatique : alors que les brûlis ne durent jamais bien longtemps dans les forêts humides, un immense nuage de fumée a obscurci le ciel pendant des mois. Cette année-là, 5 millions d’hectares de forêt ont disparu dans les flammes. La combustion des arbres et des tourbières indonésiennes aurait ainsi relâché l’équivalent de 13 à 40 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre dues aux combustibles fossiles. Les pertes économiques induites par les perturbations, dans le pays mais aussi chez les voisins, ont été chiffrées en milliards de dollars, et les maladies respiratoires sont en nette augmentation.

Cette déforestation massive et organisée a pour objectif, dans de très nombreux cas, d’ouvrir l’espace à d’immenses plantations de palmiers à huile, notamment dans les provinces de Sumatra et de Kalimantan. Si l’on y ajoute l’exploitation du bois, elle se traduit en moyenne par la perte annuelle d’environ 2 millions d’hectares de forêt, avec la bénédiction de pouvoirs publics peu regardants sur l’octroi des permis d’exploitation.

Avant d’être promue pétrole végétal de demain, l’huile de palme était déjà considérée comme de l’or liquide par les industriels et les agences gouvernementales de développement. Son faible coût de production en a fait, dans les années 1990, un ingrédient privilégié de l’industrie agroalimentaire et des cosmétiques, provoquant un formidable développement des plantations : près de 7 millions d’hectares en Indonésie, une superficie qui pourrait tripler d’ici à 2020 si la tendance actuelle se poursuit. Ce qui est prévisible : après avoir servi la demande de l’industrie alimentaire, la production indonésienne accompagne désormais la demande étrangère en agrodiesel, en plein décollage. Avec ces excellentes perspectives, les investisseurs étrangers se pressent dans la région. Sur l’île de Bornéo, est planifiée la mise en culture de 1,8 million d’hectares, la plus vaste plantation de palmiers à huile au monde. Dans moins de deux ans, le pays aura ravi à la Malaisie son rang de premier producteur mondial d’huile de palme. À eux seuls, ces deux pays assurent 85 % de la production mondiale, une agro-industrie qui emploie, en Asie du Sud-Est, plus d’un million de personnes et génère des milliards de dollars de revenus. Au prix de considérables dommages causés aux forêts tropicales humides, dénoncés par les Amis de la Terre depuis la fin des années 1990
[^2]

Dès 2004, avant même l’engouement pour les agrocarburants, on s’alarmait déjà en Indonésie du doublement en dix ans des surfaces de palmier à huile, menaçant l’un des plus importants réservoirs de biodiversité au monde, y compris dans des aires protégées. Avec la destruction en règle de leurs habitats, des mammifères emblématiques comme l’orang-outan ou le tigre de Sumatra sont dans une situation alarmante.

Les tribus indigènes, vivant de la chasse, de la pêche et de la cueillette de fruits, sont elles aussi chassées en grand nombre de leurs villages forestiers par les incendies. Le plus souvent, leurs droits fonciers n’étant pas reconnus, elles sont expulsées, parfois de force, par l’armée et la police. Une violence qui s’est déjà traduite par des dizaines d’assassinats et des centaines de cas de torture.

Cette agro-industrie, par l’emploi d’engrais, de pesticides et de produits chimiques servant à l’extraction de l’huile, est également très polluante, contaminant les sols, empoisonnant les cours d’eau et affectant, en aval, jusqu’à la barrière de corail ! Au point qu’il a été inventé un acronyme pour désigner les déchets issus du processus industriel : le Pome ­ Palm Oil Mill Effluent ­, mélange d’eau, de coques de fruits de palmier écrasées, de résidus gras et chimiques, déversé dans l’environnement par les centaines d’usines à huile du pays. Par son ampleur, cette agro-industrie est probablement aujourd’hui l’activité la plus polluante en milieu rural.

Quant au travail dans les plantations et les usines d’extraction, il est régulièrement dénoncé pour ses mauvaises conditions (salaire, statut, dépendance) et parce qu’il est particulièrement dangereux pour la santé : maladies de la peau et des ongles, saignements de nez, infections oculaires, ulcères de l’estomac, problèmes de fertilité et de grossesse, etc., provoqués par l’utilisation sans précaution de plus d’une vingtaine de pesticides. Et notamment du paraquat, le plus toxique des herbicides, interdit dans de nombreux pays.

[^2]: Voir notamment les rapports ; <www.foe.co.uk/resource/reports/greasypalmsimpacts.pdf>.).

Écologie
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