Des années de galère

Deux anciens agents des mairies de Belfort et de Saverne mènent une longue bataille contre leurs ex-employeurs, qui bafouent leurs droits. L’un est sans ressources, l’autre sans domicile. Récits.

Xavier Frison  • 3 mai 2007 abonné·es
Des années de galère

À situations ubuesques, genèses rocambolesques. Deux citoyens, l’un à Belfort, l’autre à Saverne, se battent depuis des années contre les pouvoirs publics locaux pour faire reconnaître leurs droits.

Embauché en emploi-jeune par la ville de Belfort en 2000, le militant associatif Mohamed Mansour, dit Mustafa, décide d’abandonner sa fonction d’éducateur et trouve un emploi d’intérimaire à la chaîne chez Peugeot. Remercié au bout d’un an, il perçoit, en quinze mois, 16 000 euros de droits Assedic. Jusqu’à ce que la caisse d’assurance chômage constate que c’est à la ville de Belfort, ancien employeur de Mustafa, de l’indemniser. Mais la mairie fait traîner le dossier.

Sans ressources et sommé de rembourser les sommes perçues, Mustafa entame une formation en licence d’«~insertion sociale par le sport~» et retrouve un emploi dans une association. Lorsque son nouveau contrat est rompu, l’histoire se répète~: pas d’Assedic, puisque son indemnisation relève toujours de la ville. In fine , le tribunal administratif de Besançon condamne la ville de Belfort, en juillet 2006, à indemniser son ex-employé sur la période légale de trente mois. Mais «~la ville m’a indemnisé à hauteur de vingt-deux mois seulement~» , indique Mustafa, toujours «~révolté~». Salarié jusqu’à fin juillet, il ne peut toujours pas prétendre au RMI et se retrouve sans ressources~: «~Les administrations se rejettent la balle, ça fait huit mois que ça dure~!~»

Pourquoi cette «~discrimination sociale et économique~» ? Mustafa pense qu’elle résulte de son engagement politique. Ex-militant associatif, engagé dans la campagne de José Bové, il est également proche des Indigènes de la République. Un poil à gratter donc, pour la mairie de Jean-Pierre Chevènement. Où l’on se renvoie la patate chaude, du service gestion des carrières à la direction des affaires juridiques, en passant par le bureau de Jean-Jacques Lentz, patron des ressources humaines~: «~Nous indemnisons effectivement nous-mêmes le chômage de nos anciens salariés. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour ce monsieur.~» Mais face aux difficultés rencontrées par Mustafa, le discours change~: «~Adressez-vous au cabinet du maire.~» La pêche aux informations s’arrêtera là, le directeur de cabinet n’ayant pas cru bon de rappeler Politis . Du côté du service juridique de l’Assedic, on confirme les faits généraux, en se contentant d’ajouter que «~l’Assedic avait raison dès le départ~» . Enfin, selon Paul Bohler, directeur adjoint de l’Assedic Franche-Comté-Bourgogne, Mustafa «~aurait dû nous signaler son activité passée à la mairie et s’y adresser directement~» . Et d’expliquer qu’une personne qui a été salariée et dans le public et dans le privé doit être indemnisée par la structure où «~la période d’activité a été la plus longue~» . De quoi, parfois, «~en perdre son latin. C’est une loi qui mériterait d’être simplifiée~» , reconnaît le fonctionnaire.

Dans le Bas-Rhin, c’est un «~grand cri~» que lance Étienne Schmitt ^2, en guerre ouverte contre la municipalité de Saverne depuis 1990. En 1988, il est embauché par la mairie sur deux mi-temps, l’un de maître-nageur, l’autre de responsable d’un futur service des sports annoncé avec tambours et trompettes. Fort bien noté, Étienne déchante très vite. La promesse d’évolution professionnelle coule: le service des sports restera une coquille vide. Étienne est pourtant détaché, fin 1989, à temps complet à la tête de ce service bâtard, sur lequel aucun crédit n’est affecté. Et son salaire reste celui d’un maître-nageur. Le statut de cadre qu’on lui a fait miroiter ne sera jamais effectif.

Lors d’un bilan demandé par sa hiérarchie, Étienne Schmitt met au jour «~des dysfonctionnements graves~» au sein des services techniques appelés à intégrer l’hypothétique service des sports. Arrangements entre amis, outillages non inventoriés, heures de main-d’oeuvre impossibles à décompter, flou artistique sur le suivi des coûts des travaux, les zones d’ombre sont légions.

Illustration - Des années de galère


Adrien Zeller, actuel président UMP de la région Alsace et ancien maire de Saverne. AFP/ Olivier Morin

«~Mais les petits chefs de ces services techniques, mis en place par la mairie, ne veulent rien entendre~» , se souvient Étienne Schmitt. Le maire de l’époque, Adrien Zeller, à la tête de la ville de 1977 à 2001 et actuel président UMP de la région Alsace, juge alors inutile de mettre de l’ordre dans cette gestion, qui sera dénoncée plus tard par un rapport de la Cour régionale des comptes. En revanche, l’encombrant fonctionnaire voit débuter sa «~placardisation~». Tous les coups sont permis : «~Fin 1991, le chef de cabinet du maire de Saverne commence à colporter une rumeur dans les services selon laquelle je serais atteint du sida~» , s’étrangle encore le «~maître-nageur~». Commence une descente aux enfers~: déstabilisé, angoissé, Étienne Schmitt enchaîne les consultations auprès de médecins locaux. L’un d’eux établit un certificat d’hospitalisation psychiatrique. Étienne est diagnostiqué paranoïaque et schizophrène par ce médecin, sèchement désavoué depuis par de nombreuses contre-expertises. Plus fort: Étienne l’accuse d’avoir livré son diagnostic «~à la famille et à des tiers~» , en dépit du sacro-saint secret médical. Plusieurs internements abusifs suivront. Car cette bataille autour de la santé du gêneur ne doit rien au hasard~: dans la Fonction publique, la maladie de longue durée est l’arme fatale pour exclure des agents devenus indésirables. Étienne Schmitt perd plus que des plumes dans la bagarre~: sans emploi, sans ressources, sans sa famille, qui s’est éloignée, expulsé de son domicile, il perd ses droits au RMI et devient SDF.

Contacté par Politis , Adrien Zeller ne souhaite plus s’exprimer sur cette affaire. «~Monsieur Zeller n’est plus maire de Saverne, et tous les documents concernant cette affaire sont disponibles à la mairie. Laissons faire la justice~» , tranche son directeur de cabinet au conseil régional. Plus loquace, Étienne Schmitt raconte les ingérences de l’ex-maire dans cette affaire, les diffamations à son endroit, mais aussi la rue, qu’il arpente d’abord de 2002 à 2004, puis de nouveau aujourd’hui. D’une voix posée, il explique pudiquement être aidé au quotidien par «~quelques personnes qui me soutiennent. Je fais de la musique à gauche à droite, je mange et dors ici et là~» . Reste le combat pour sa réhabilitation «~sociale, personnelle et professionnelle~» toujours d’actualité. Étienne Schmitt continue de se défendre en enchaînant les procédures dénonçant internement abusif, harcèlement moral au travail et excès de pouvoir.

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