Du changement dans l’air

L’avenir incertain des sous-traitants d’Airbus pousse les acteurs de
Midi-Pyrénées à chercher des solutions pour consolider les emplois. La proposition de monter des coopératives se heurte à des résistances.

Yoran Jolivet  • 17 mai 2007 abonné·es

Avec ses locaux flambant neufs situés dans une zone d’activité proche du site principal d’Airbus France à Toulouse, la coopérative (scop) Aerem n’a rien à envier à ses concurrents. Spécialisée dans l’étude et la réalisation d’outillage aéronautique, elle emploie 22 salariés et fait partie des sous-traitants de niveau 1, ceux qui traitent directement avec l’avionneur européen. Le statut de scop, qui la différencie des autres sous-traitants, « n’affecte en rien [ses] relations avec le donneur d’ordre » , constate Jean-Louis Darasse, directeur général délégué d’Aerem. Mais, avec l’application du plan Power 8 (restructuration d’Airbus au niveau européen), et l’annonce de la réduction de 80 % du nombre de sous-traitants, la coopérative craint pour son avenir. « Nous avons un carnet de commandes plein sur deux mois, mais aucune lisibilité sur le long terme, et notre statut de scop ne change rien à cela » , note Jean-Louis Darasse. Si rien n’empêche une coopérative de travailler pour un gros donneur d’ordre, son statut ne la protège pas d’une baisse d’activité et d’une relation très inégale. D’après les premiers calculs, le plan Power 8 affecterait une bonne partie des 550 entreprises (plus de 50 000 emplois) de Midi-Pyrénées qui dépendent d’Airbus. C’est pourquoi le conseil économique et social de la Région (CESR) s’interroge actuellement sur l’avenir de ces sous-traitants.

Une des solutions avancées par les représentants de l’économie sociale et solidaire serait la reprise de certaines entreprises par leurs salariés, sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (scic) [^2]
. « Cela permettrait de faire entrer des fonds publics dans les sociétés, d’avoir une diversité d’acteurs privés, de les associer à certaines universités et, surtout, de mieux faire fonctionner le tissu économique régional, qui n’est pas suffisamment exploité » , argumente Agnès Dofny, présidente de la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire. Mais, jusqu’à présent, le projet ne dépasse pas le stade des discussions : « On fait face à une levée de boucliers des organisations patronales. » La plupart des sous-traitants en péril sont des petites entreprises de moins de 50 salariés. Elles sont souvent composées de capitaux familiaux avec un mode de gestion centré sur le chef de l’entreprise. « Le montage en scop provoquerait un véritable choc culturel. Toutes les possibilités sont bonnes à étudier, mais je ne crois pas que le changement de statut soit une solution », considère Brigitte Poitevineau, secrétaire générale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) de la Haute-Garonne.

Agnès Dofny insiste : « Les scic permettraient d’avoir un levier politique et d’anticiper les dégâts. La plupart du temps, on fait appel à nous pour monter une scop quand c’est déjà trop tard, et qu’on n’a plus d’autres solutions sous la main. » Les scic étant plus compliquées à manier, c’est le statut de scop qui est souvent utilisé dans le cas d’une reprise d’entreprise en difficulté. Jusqu’à présent, ces reprises s’effectuent plutôt en milieu rural, dans des zones d’activités peu dynamiques, et quand cela n’intéresse plus personne. Cependant, quelques exemples montrent que la scop peut être une solution plus large. À Carcassonne, sept salariés d’une usine de fabrication de pièces mécaniques ont repris leur société « à la barre » (au tribunal de commerce), en janvier 2004, après trois mois d’une fermeture consécutive à une liquidation. Avec beaucoup de volonté et en se concentrant sur de nouveaux marchés, ces salariés ont réussi à réanimer leur entreprise. Pour Serge Monnereau, gérant de Carcassonne Usinage, « la scop, c’est surtout un état d’esprit, car tous les salariés sont impliqués dans les décisions. Mais chaque cas est particulier, et s’il n’y a pas de travail, on ne peut rien faire » .

La reprise d’une entreprise en difficulté est certes complexe, mais le statut de scop peut, grâce à la motivation des salariés, parfois aider à sortir de situations de crise. Les coopératives ne sont donc pas à exclure du secteur de l’industrie et de la sous-traitance. « Le statut de scop n’est en rien défaillant » , rappelle François Xavier Salvagniac, directeur de l’Union régionale des scop Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon. Doter une scop des avantages d’une scic, tel est la ligne que défendent les acteurs de l’économie sociale et solidaire dans la région. Pour mieux affronter la prochaine tempête.

[^2]: La scic permet de réunir différents acteurs comme les salariés, les bénéficiaires (clients, usagers), les collectivités territoriales, etc. C’est une coopérative commerciale à but non lucratif.

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