« Le vélo franchit une nouvelle étape »

À l’occasion de la Fête du vélo, les 2 et 3 juin, Denis Baupin, adjoint Vert chargé des transports à la mairie de Paris et président du Club des villes cyclables, évalue les progrès de la bicyclette.

Ingrid Merckx  • 31 mai 2007 abonné·es

Où en est la vélorution en France ?

Denis Baupin : Longtemps, le vélo a été considéré comme ringard. Mais, face aux enjeux de qualité de l’air et de qualité de vie, des élus se sont battus pour réaliser des aménagements cyclables. La pratique a progressivement augmenté, d’abord chez des publics déjà sensibilisés. Aujourd’hui, avec de nouveaux outils tels que les libres-services de vélos à Lyon et, cet été, à Paris, le vélo franchit une nouvelle étape. Facile d’utilisation, il devient synonyme d’une nouvelle façon de se déplacer en ville, et participe ainsi à une évolution positive de la ville. Pour arriver à ce changement d’image, il fallait que les gens n’aient pas le sentiment de régresser socialement en passant de la voiture au vélo, et leur offrir de la qualité et de la modernité. À Lyon, il y a eu une hausse de l’usage de la bicyclette depuis l’arrivée de Vélo’v, et pas de hausse de l’accidentologie. Paris a connu une augmentation de 50 % de l’usage du vélo depuis la nouvelle mandature. L’arrivée du libre-service Vélib’ sera un nouveau tremplin…

Illustration - « Le vélo franchit une nouvelle étape »


Dès cet été, on trouvera 14 000 bicyclettes en libre service à Paris. GUEZ/AFP

Dès cet été, donc, 14 000 vélos vont être installés dans la capitale, et 20 000 fin décembre. Comment cela va-t-il transformer le visage de la ville ?

Difficile à dire : il n’y a jamais eu de libre-service d’une telle ampleur. La compétition entre Clear Channel et JCDecaux, pour décrocher le marché, a eu un avantage : elle a été tellement féroce qu’ils ont augmenté progressivement l’offre de vélos. De 6 000 à l’origine, on en aura 20 000 finalement. L’ampleur du dispositif va forcément influer sur les façons de vivre et de se déplacer. Cela pourra contribuer à réduire le trafic automobile, en tout cas le ralentir. De nouvelles dynamiques pourraient aussi apparaître, comme des commerces ou des services pensés pour les cyclistes… Ainsi, Paris va être la première ville à maintenir un service de location de vélos (les maisons Roues-libres) et un libre-service de vélos.

On va tenter l’expérience pendant un an pour évaluer la compatibilité entre les deux systèmes, car on pense qu’il existe deux types de public : celui qui souhaite un vélo pour une journée complète ou une semaine, pour qui la location est une bonne solution, et celui qui l’utilise pour de petits trajets, à qui Vélib’ est dédié.

Cela dit, on en est encore loin de risquer l’embouteillage de vélos rue de Rivoli ! Mais, alors que nous devions jusqu’à présent défendre une politique volontariste pour développer des aménagements, face à une partie de la population qui disait : « Ça ne sert à rien, il n’y a pas de cyclistes », le nombre de cyclistes augmentant, la donne va profondément changer…

Vélib’, c’est un libre-service et une redevance annuelle de 3,5 millions pour la municipalité, contre dix ans d’affichage publicitaire pour JCDecaux. Que penser de cet accord à l’heure où la mairie révise la réglementation de la publicité ?

La publicité en ville doit être limitée et, grâce au nouveau contrat, nous avons obtenu de réduire de 20 % le nombre de panneaux. Le nouveau règlement local de publicité, actuellement en discussion au sein de la municipalité, devrait suivre la même direction. En tant qu’écologistes, nous restons très vigilants sur les publicités, notamment polluantes (panneaux déroulants, lumineux, consommateurs d’énergie), et nous voulons réduire encore le poids de la publicité. Vélib’, c’est déjà moins de panneaux qu’avant dans Paris, mais ça n’est qu’une étape.

Jusqu’où pousser le parallèle entre la voiture et le tabac en matière de santé publique ?

Je suis pour une « loi Evin » sur la publicité automobile, qui prévoirait des messages analogues à ceux qui figurent sur les paquets de cigarettes. Avec l’industrie automobile, nous sommes dans une situation où des enjeux de santé publique majeurs ont été totalement sous-estimés. La France est le pays le plus diéselisé du monde, alors que les particules de diesel sont les plus dangereuses. La commission européenne a estimé à 350 000 le nombre de morts par an dus aux particules fines de diesel dans l’Union. Je ne dis pas qu’il faut supprimer la voiture et mettre tout le monde à vélo, mais on ne peut pas continuer à produire des véhicules aussi toxiques. Il est urgent de fabriquer des voitures qui consomment moins d’essence, produisent moins de gaz à effet de serre, soient moins encombrantes, moins rapides… Ce n’est pas aux élus d’adapter la ville à ce que les industriels mettent sur le marché. C’est aux constructeurs de répondre aux besoins, si nécessaire par des contraintes légales.

Selon vous, combattre la norme du tout-automobile est un enjeu de civilisation. Comment faire du vélo un symbole de progrès ?

On l’ignore souvent, mais la France est le quatrième pays du monde en nombre de vélos par habitant, c’est-à-dire qu’on y vend plus de vélos que de voitures. Pour aller plus loin, la progression de la conscience écologique est une condition nécessaire mais pas suffisante : notre responsabilité d’élus, c’est d’envoyer des signaux également économiques et pratiques pour favoriser le passage à la bicyclette. Pour cela, il faut que le vélo fasse système en s’inspirant, pour le coup, de la voiture (achat, entretien, stationnement, réparation, prêt, etc.). Il faudrait aussi développer les liens entre le vélo et les nouvelles technologies sur le modèle des « transports intelligents ». On doit pouvoir créer des services favorisant le cycliste par rapport à l’utilisateur d’une voiture. On peut imaginer que le piéton et le cycliste finiront par être mieux connectés et informés que l’automobiliste. Et donc, bien mieux en ville.

Le nouveau ministère de l’Écologie et du développement durable vous paraît-il à même d’appuyer cette politique ?

Il en a les moyens. Mais la politique, c’est une question d’arbitrage : la vraie décision politique s’opère quand on doit choisir entre deux priorités contradictoires. Dans la hiérarchie du nouveau gouvernement, je crains que le libéralisme économique ne l’emporte sur le choix environnemental. Si on fait de l’écologie là où cela ne gêne personne, ça ne suffira pas. La création de ce ministère est un beau symbole, mais il faut qu’il soit suivi d’actes. Je ne suis pas très optimiste.

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